La lecture de Wikipédia est toujours une source d’enseignements. On y apprend ainsi que le tiramisu n’apparaît dans aucun livre de cuisine antérieur aux années 60, ni dans aucun dictionnaire ou encyclopédie des années 70 et 80. C’est pourtant au cours des années Mitterrand que le tiramisu a commencé à sortir des trattorias pour s’afficher dans la pleine lumière des menus des établissements Costes et autres lieux branchés (on parlait comme ça à l’époque), très rapidement rejoint par la panacotta, autre échappée de la botte italienne. So eighties.
Les plus fins lettrés savent bien que le tiramisu vient de l’italien tirami, littéralement « remonte-moi », surtout le moral, intention parfaitement appropriée au début des années 80 qui commençaient à se faire dévorer par la récession économique. Quarante-cinq ans plus tard, le magazine Elle nous apprend que le tiramisu est plus hype que jamais (c’est comme ça que l’on dit aujourd’hui) au point de s’être affranchi de la recette de la Mamma. Ciao les biscuits cuillères trempés dans le café et la poudre de cacao, place à l’imagination, l’ingrédient préféré de tous les chefs qui s’envisagent Top.
Et voilà le tiramisu salé (la Mamma vient de faire une crise cardiaque), le tiramisu matcha (il le fallait bien), le tiramisu fraise-citron (signé Lignac, qui d’autre ?), le tiramisu au brownie et même au Kinder Bueno (les Gen Z ne respectent rien) et autres Tiktokeries virales. Le #tiramisu dépasserait les cinq millions de publications. A Bordeaux, Toulouse et Marseille, des « Bars à Tiramisu » et des « Maisons du Tiramisu » ont déjà fait leur apparition en attendant de trouver le bon emplacement dans le Haut-Marais.
Hier, le talent culinaire consistait à parfaire les recettes pour les sublimer et, ainsi, préserver la tradition ; aujourd’hui, il est de les réinventer pour se les approprier. La victoire du Je sur le Nous.
Ce soudain attrait pour le tiramisu, au moment même où nous traversons de nouveau une crise économique, ne doit rien au hasard. Nos assiettes reflètent autant nos goûts que leur époque. Qu’est-ce qu’un tiramisu sinon un biscuit imbibé de ce que l’on veut, associé en couches à une crème neutre qui se marie avec tout (fruits, ganache…) et saupoudré de tout ce qui peut être saupoudrable, quelle qu’en soit la couleur. Un espace d’expression libre dans un cadre contraint. Une parfaite métaphore de notre consommation en cette période de tension budgétaire.
So What ?
Chaque marque doit se demander comment donner à ses acheteurs la possibilité de s’approprier ses produits. Par un geste, une recette, une association inattendue. La meilleure manière de maintenir le lien avec eux.