Alors que, sous la pression du e-commerce, de plus en plus de magasins du monde réel se donnent des airs de « comme à la maison » à grands coups de canapés, de tables basses, de photos encadrées et de petites attentions amicales (café, verres d’eau, magazines), nos intérieurs, eux, reçoivent de plus en plus «d’inconnus».
Avant, rares étaient ceux que l’on ne connaissait pas et qui pouvaient entrer chez nous : l’employé du gaz ou de l’électricité (qui ne devraient pas tarder à disparaître, boutés hors des foyers par Linky et Gazpar…) et, de temps en temps, une baby-sitter, un livreur d’électroménager ou un médecin urgentiste. Désormais, il faut s’attendre à voir débarquer chez soi le représentant motorisé de Frichti ou du Japonais du coin, tous ceux qui viennent chercher ce que vous avez déposé sur Leboncoin, sur un site de vide-dressing ou mis en vente sur Rakuten et même, potentiellement, un des habitants du quartier désireux de vous emprunter un outil ou d’utiliser votre machine à laver si vous lui en avez donné le droit. Quand ce n’est pas un coach ou un chef à domicile qui auront tous deux besoin de se changer dans votre salle de bain… Ceux que la transformation d’un lieu de vie en hall de gare ne rebute pas peuvent même organiser des ventes privées ou une soirée autour de jeux dans leur salon.
Entre les hôtels qui veulent donner à leurs clients le sentiment d’être chez eux et les bureaux et les magasins qui se la jouent appartement, il n’est pas exagéré de parler de confusion des genres ou de glissement des frontières. Derrière cette évolution, c’est d’abord de la place de la consommation qu’il s’agit puisque celle-ci vient désormais à nous. Conséquence : nos maisons cessent d’être des bases de repli pour devenir des espaces d’accueil. Et la différence entre extérieur et intérieur s’atténue. Ce qui était attribué à l’un devient possible pour l’autre, ouvrant de nouvelles perspectives aux fabricants de meubles et d’accessoires.
C’est aussi notre perception du temps qui se modifie puisque le temps dédié au travail télescope notre sphère privée, faisant apparaître de nouvelles activités hybrides : travailler ailleurs que chez soi ou dans une entreprise, vendre à domicile, jouer au bureau… Et s’il fallait renoncer à l’idée d’associer un lieu à un temps ?