Si le fooding a largement contribué à modifier notre façon d’envisager notre assiette, désormais élevée au rang de signe de reconnaissance et d’appartenance communautaire, il semblerait qu’un tournant soit en train d’être pris par ce mouvement qui vient tout de même de fêter ses vingt ans. Il faut dire que trop de conceptualisation et de déstructuration ont pu finir par lasser. Ce fooding là a ainsi conduit à une surenchère des égos chez les cuistots, qui se sont soudain senti pousser des toques sur la tête, mais aussi chez les consos, dans le jeu du « qui sera le premier à découvrir le dernier concept en vogue ».
Lassitude ou désir générationnel d’inventer de nouveaux codes, place à un nouveau chapitre fooding, à un fooding redescendu sur terre. Nos tables ont d’abord retrouvé le chemin des bistrots et des bouillons. Les voilà aujourd’hui animées par l’esprit de partage. Bienvenue dans le monde du Food sharing. Le menu traditionnel « entrée-plat-dessert » fait de moins en moins recette au profit de plats à partager servis en même temps que l’on picore entre amis. Le phénomène, qui vient du sud, entre tapas espagnoles, mezzés orientaux et apéritivo à l’italienne, est idéal pour les gourmands qui aiment goûter à tout… Légumes grillés sur plaque, planches de charcuterie et de fromages, scamorza au four dans laquelle on trempe son pain… Ces plats font fureur et promettent une tablée bien plus conviviale et décomplexée. Jamais l’envie de partager n’a été aussi présente dans les esprits. Pourquoi la table y échapperait-elle ?
Difficile de ne pas relier cette nouvelle attitude au sentiment que nos ressources sont limitées et au constat qu’il nous est parfois devenu difficile de préserver notre qualité de vie. Changer nos façons de faire ne serait-elle pas l’ultime voie à prendre pour assurer notre avenir ? Partager n’est cependant pas toujours synonyme d’appauvrissement, de restriction ou de moindre plaisir. Partager, c’est vivre une expérience. C’est rencontrer, échanger, apprendre, s’enrichir, se construire des souvenirs communs. Chacun de nos actes peut ainsi, à la rencontre de l’autre, prendre une nouvelle dimension.
Si l’idéologie de la consommation a longtemps été « je consomme, donc je suis », la voici qui s’oriente de plus en plus vers « je consomme, donc nous sommes ». Et pourquoi pas, aussi, vers « je partage, donc je suis » ?