Les vêtements racontent autant une époque que ceux qui les portent. Force est de constater que la guerre que nous avons mené contre le virus n’aura pas été sans effets sur notre façon de nous habiller. Peut-être le premier signe de ce « monde d’après » tant fantasmé et que certains cherchent encore. Contraints de rester à la maison et d’être réduits à un visage sur un écran d’ordinateur, nous avons moins ressenti la nécessité de nous « habiller » durant deux mois. Conséquence : les préoccupations stylistiques ont laissé place à celles de confort et, très vite, à la faveur d’une météo plutôt estivale, les rues des villes prirent des allures de stations balnéaires où il n’était pas rare de croiser des hommes et des femmes en tongs et shorts.
Le phénomène ne s’est pas atténué depuis le 11 mai. Certes, le télétravail n’a pas disparu, mais, comme disent les experts, les crises viennent toujours révéler et prolonger des mouvements déjà amorcés. La coolitude vestimentaire au travail avait débuté au début du siècle avec les start-ups animées par l’idée de bien souligner qu’elles n’appartenaient pas à l’ancien monde (déjà), celui des « bricks » et du « mortar ». Le modèle stylistique de Marc Zuckerberg s’est alors vite imposé : chaussettes blanches et claquettes de piscine aux pieds, T-shirt et capuche sur la tête. La classe.
Au début de l’année, les têtes chercheuses de la mode identifiaient une version corporate de la coolitude : la business jacket, soit une veste sans manches, en polaire ou matelassée, longtemps réservée aux vignerons et aux varappeurs du dimanche, soudain devenue un symbole de compétence professionnelle et de réussite pour le dixième du prix d’un costume Armani. Pas sûr que le style en sorte grandi…
Toutes ces tenues, portées indifféremment du soir au matin, en semaine et en week-end, viennent autant nous confirmer la porosité des frontières entre vie privée et vie professionnelle qu’une envie individuelle de s’extraire des contraintes dictées par des règles sociales. Chacun se berce ainsi de l’illusion que sa personnalité compte davantage que son apparence et qu’il ne peut être rangé dans aucune boite. Même si cette intention conduit finalement à la reproduction d’apparences stéréotypées.