Fashion success

Parmi les acteurs de la mode qui parviennent à tirer leur épingle du jeu sur un marché pour le moins morose sont régulièrement cités Sezane, Balzac, Jacquemus ou encore Rouje. Comprendre leur succès, c’est esquisser les contours d’un nouveau modèle commercial dominé par le relationnel. 

Premier constat : il s’agit ici davantage de marques que d’enseignes car le nombre de leurs magasins ne permet pas de parler de réseau. Une marque a un pouvoir de déclencher des imaginaires bien supérieur à une enseigne. Ici, les vendeuses sont des « copines », proches et complices, les magasins, conçus comme des « appartements » et les vêtements, disposés comme dans un dressing. Les mots ont leur importance. 

Chacune d’elles a aussi pour caractéristique d’être incarnée. Non par un directeur artistique adulé comme dans le luxe, mais par une personne à laquelle il est possible de s’identifier, associée à un fort capital narratif fait d’une origine géographique, d’un style de vie ou d’un état d’esprit pas toujours très éloignés des nôtres. Des histoires enrichies au fil du temps par des événements bien pensés, des coulisses dévoilées, des révélations calculées et des projets de collab’ prêts à buzzer. Des marques « feuilleton » dont on attend toujours l’épisode suivant. 

Le succès de ces marques tient enfin à leur offre, bien sûr, paradoxalement moins centrale que chez les acteurs traditionnels du secteur : beaucoup de basiques twistés et d’intemporels régulièrement mis au goût du jour. Des pièces faciles et désirables associées à une gamme de prix large pour n’exclure personne. La question de savoir si cette offre est milieu de gamme, access premium ou haut de gamme ne se pose plus car l’accessibilité ne se mesure pas ici aux prix mais à la désirabilité. Autre spécificité : contrairement aux marques traditionnelles, les moments de soldes sont rares et rebaptisés « ventes d’archives ». Les mots ont décidément leur importance. 

Quant au sentiment d’appartenance, Graal ultime de toutes les marques, il passe davantage par la reconnaissance d’un détail singulier, d’une forme, d’une couleur que par un logo trop affiché. Plus subtil. De même, leurs communautés ne se mesurent pas au nombre de followers ou de likes, mais s’éprouvent dans le partage d’un même univers. Rien d’étonnant donc à ce que ces marques regardent toujours plus loin : vers les accessoires (maroquinerie, lunettes, chaussures), la beauté et même la maison… Leur ambition ne s’arrête pas au dressing.

Mise en boîte

En cette période éco-responsable qui voit progressivement disparaitre du paysage toutes formes de sacs et d’emballages, on peut s’étonner de la résistance des boites en carton, pourtant menacées par leurs équivalents durables conçus pour accueillir le vrac ou les préparations maison qui constitueront les déjeuners en entreprises.

Le monde de la pizza figure en tête de la résistance. Difficile en effet d’imaginer en consommer une sans son carton tant l’imaginaire de celui-ci y est associé. Commander sa pizza puis la porter fièrement encore chaude dans sa boite où elle sera découpée et achevée fait assurément partie de sa mythologie personnelle. La boite en carton fait aussi de la résistance à l’heure du déjeuner sous la forme d’une boite-repas (avec son couvercle transparent) portée telle une offrande par des salariés privés de sacs et en quête d’un endroit pour se poser, coiffée d’un morceau de pain calibré (pas deux) et d’une autre petite boite, ronde et en plastique cette fois, contenant la sauce sans laquelle la proposition serait incomplète. Ultime avatar de la gamelle, la boite-repas peut aussi bien accueillir une sélection de sushis qu’une salade de pâtes à la promesse d’équilibre affirmée. 

Au-delà de ces deux moments de consommation bien ritualisés, la boîte en carton se retrouve aussi, et de façon plus inattendue, dans le monde des donoughts. Si ceux-ci ont été conçus pour se consommer à l’envie et avec les doigts, il n’est pas rare de les voir proposés dans des boites de six ou douze. Moins chers à l’unité, certes, mais là n’est pas l’essentiel car ainsi mis en boites, les donoughts acquièrent un nouveau statut. D’objets d’un désir égoïste, ils deviennent plaisirs à offrir pour être partagés, réunis dans une « boite découverte ». Rangés les uns à côté des autres, leurs harmonies de couleurs et de matières se font décor, signe supplémentaire de la mutation du quotidien en « beautidien »

De gourmandises un peu trash, les voilà qui se rêvent en gâteaux du dimanche, portés par leur statut d’icônes et prêts à rejoindre le clan des éclairs et des millefeuilles. Une forme d’anoblissement. Ici, la mise en boite est au service de la réinvention de soi. Une promesse pleine d’avenir. Surtout quand on sait que les mots coffret ou écrin sont déjà en embuscade pour venir premiumiser la proposition. Qui pourrait résister à un coffret de donougts ?