Solo-itude

Selon le site de réservation en ligne de restaurants The Fork, les réservations au restaurant pour une personne seule ont augmenté de 18% en 2024. Une récente étude publiée par l’ObSoCo nous apprend que la baisse de la natalité s’explique aussi par celle du nombre de couples. Selon l’INSEE,la proportion de moins de 30 ans vivant en couple a diminué de 15 points entre 1990 et 2020, passant de 70% à 55%. Un chiffre qui ne prend pas en compte les couples « non-cohabitants » qui, tout en entretenant une relation, choisissent de maintenir des domiciles séparés. Le phénomène, observable un peu partout dans le monde, a été qualifié de « relation recession » par le Financial Times, jamais en retard d’une tendance. 

Les explications abondent : entrée plus tardive dans le monde du travail, coût du logement ou encore (et surtout) individualisation croissante des comportements et, singulièrement, des jeunes femmes qui préfèrent rester célibataires plutôt que de s’engager dans une relation qui ne corresponde pas à leurs attentes, notamment en termes d’égalité domestique. Le célibat tend à devenir la norme et un couple qui emménage ensemble a désormais plus de chances de se séparer que d’avoir un enfant… 

Conséquence : les offres solos se multiplient, qu’il s’agisse de « solo trips » destinés à ceux qui partent seuls en voyage (de plus en plus nombreux), de retraites littéraires (ultime tendance), de l’onglet « Manger seul » sur le site du Fooding ou encore de la généralisation des comptoirs installés face aux cuisines dans les restaurants. Ainsi, le spectacle n’est plus seulement dans la salle mais assuré par la brigade. Vive le show cooking ! 

Mais, au-delà de ces nouvelles propositions ciblées, la vie solo suscite aussi, par ricochet, un surinvestissement des relations amicales parmi les plus jeunes, qui peut autant se lire à travers le succès des apéros « Spritz + planche » (en passe de supplanter les dîners), des jeux de société et des soirées In Real Life sans téléphone, que dans celui des visites immersives de musées, des escape games ou des expériences d’achat inédites, à coups de pop-ups ou de collab’ inattendues. 

Voilà qui explique pourquoi l’expérience est aujourd’hui davantage recherchée que la possession : une promesse de partage émotionnel et d’images destinées à circuler sur les réseaux. Des moments producteurs de souvenirs plutôt que des achats constructeurs d’égo. Plus que jamais, consommer, c’est partager.

Occuper le terrain

A l’occasion de la fête des voisins, le Bouillon Pigalle, Pink Mamma et La Machine du Moulin Rouge s’associaient pour créer, rue Duperré (Paris 9), « la plus grande de tablée de Paris » mêlant les intemporels plats du Bouillon et les emblématiques piatti italiens de Big Mamma, ambiancée par la Machine du Moulin Rouge, le tout pour 39 euros par personne. Fin mai, la néo boulangerie The French Bastard mettait le feu à la rue Oberkampf avec la complicité du DJ transgénérationnel Bob Sinclar. Et voilà que La Grande Epicerie de Paris se lâche à son tour en annonçant vouloir transformer, à l’occasion des dix ans du Food Market, la très chic rue du Bac en « guinguette urbaine mélangeant spots gourmands du 7ième et adresses emblématiques du nord parisien avec DJ set et atelier maquillage pour les enfants ». Une invitation à faire dialoguer les deux rives. De mémoire d’habitant, on n’avait jamais vu ça dans le septième arrondissement. 

Non loin de là, Pucci, la marque de luxe florentine du groupe LVMH, s’installe, jusqu’à fin juillet, au Bar de la Croix-Rouge, LE QG de tous les habitants cool du village germanopratin, qu’elle habille pour l’occasion de ses couleurs psychédéliques, histoire de donner à ses clients le sentiment de se sentir déjà un peu ailleurs. Il y a quelques semaines, la marque Ami profitait de l’ouverture de son dernier flagship dans le Haut-Marais (où, ailleurs ?) pour afficher sa proximité avec les commerçants de la rue de Bretagne où voisinage et appartenance communautaire semble ne faire qu’un. Jeu de piste, partenariats, exposition et livre de photos étaient au programme. 

Occuper de nouveaux territoires a toujours été l’obsession de toutes les marques désireuses d’étonner et donc, de faire parler d’elles. On comprend qu’il s’agit aussi, désormais, de territoire géographique. Les avantages ne manquent pas. Afficher son appartenance à un quartier est d’abord pour une marque une manière de montrer qu’elle n’est pas seulement animée par des préoccupations marchandes. C’est aussi la preuve que l’inévitable mondialisation peut se décliner localement, ce qui lui donne aussitôt un visage plus sympathique. C’est enfin l’opportunité de matérialiser un entre-soi qui ne manquera pas, en retour, de se transformer en un précieux engagement de la part d’acheteurs ainsi confortés dans leur sentiment d’être à la « bonne » place. 

Tisser des liens de proximité deviendrait presque plus stratégique pour une marque que conquérir de nouveaux clients. 

Grosse fatigue

Commerce atone, immobilier en pause, automobile en transition, bricolage et jardinage en mode régime : la France de la consommation semble être à l’arrêt en attendant qu’un futur se propose. Conséquence : le mot compte triple du moment est Fatigue. Sept lettres. Pas mieux. 

Au début de l’année, le patron de Chanel évoquait une « fatigue du luxe », expression, depuis, largement reprise, pour désigner une moindre envie d’acheter très chers des produits dont la valeur réelle ne saute pas aux yeux. De mauvais esprits diront, plus simplement, que les amateurs de luxe commencent à en avoir assez de passer pour des pigeons… Le succès des dupes vient prouver qu’il ne leur aura pas fallu beaucoup de temps pour trouver une solution à leur lassitude. Selon une étude récente, un Français sur trois aurait succombé aux dupes de produits cosmétiques au cours des douze derniers mois… Depuis le temps que l’on parle de « consom’experts », il fallait bien que cela arrive (aussi) sous cette forme. 

Hasard ou pas, jamais la presse n’a accordé autant d’articles au sommeil, devenu en quelques mois un enjeu de santé publique à l’origine de notre stress, de notre manque de concentration et de notre réactivité à fleur de peau. Réussir son sommeil, c’est réussir sa vie. 

Ne pas (trop) manger avant de se coucher, faire « matelas à part », réduire son temps d’écran et la température de sa chambre, veiller à la régularité de son lever et de son coucher… Les bons conseils abondent et il n’est pas surprenant que les marques tentent de transformer cette soudaine préoccupation en réjouissant business.

Kusmi Tea, dont la notoriété s’est construite sur ses mélanges Détox, propose désormais un Rituel Sommeil « une infusion bio fruitée aux bienfaits cliniquement prouvés ». Sur les linéaires, les produits qui nous veulent du bien se reconnaissent facilement à l’usage qu’ils font du mot « vitalité » plein d’espérances. Les herboristeries connaissent un succès inattendu et les hôtels multiplient les propositions de séjours (rebaptisés expériences) promettant de renouer avec un sommeil « réparateur » grâce à moult soins en blouses blanches. Des séjours forcément « no kids ». 

Mais si la France est fatiguée, est-ce seulement parce qu’elle dort mal ? Après la fatigue d’être soi, engendrée par le culte de la performance, ne sommes-nous pas en train de payer la fatigue de toujours vouloir devenir un autre ?

Kombucha gagnant

Les influenceurs ne pouvaient pas éternellement rester les porte-parole des marques en se contentant de déballer et de commenter ce qu’elles leur offrent à travers des mises en scène ego-centrées qui, seules, les distinguent des émissions de télé-achat. La tentation de soutenir leurs propres produits était grande. Elle commence à devenir une réalité. Après quelques irruptions attendues dans les domaines de la mode et de la cosméto à travers d’opportunistes pop-up stores, voici aujourd’hui les influenceurs animés par l’idée de mettre un pied dans notre caddie. 

Un des plus connus d’entre eux, Squeezie (19 millions d’abonnés) a ainsi récemment annoncé, sur les réseaux (où ailleurs ?), le lancement de son kombucha sous le nom de Ciao Kombucha aux surprenantes évocations italiennes (bien que brassé en Espagne) et disponible en six saveurs. Une vraie gamme. Il s’agit là de la deuxième diversification de l’influenceur, après le lancement de sa marque de vêtements aujourd’hui disparue. L’initiative mérite d’être suivie car elle permettra de mesurer le pouvoir effectif des influenceurs sur le monde réel et, plus particulièrement, leur capacité à doter les produits qu’ils proposent d’une aura lifestyle plus attractive que celle suggérée par les marques à travers leurs communications habituelles. 

Ici, pas de savoir-faire séculaire, de tradition portée par des gestes ou de légitimité induite par une appartenance territoriale. Rien d’autre qu’un nom pour rampe de lancement, seulement connu de ceux qui fréquentent les réseaux mais associé à une trajectoire individuelle perçue comme un gage de sincérité et d’authenticité. Deux valeurs très appréciées en cette période où la parole des marques est spontanément mise en doute. 

« J’ai découvert les boissons naturelles il y a 2 ans et ça m’a carrément aidé à diminuer ma consommation de sodas et d’autres boissons souvent saturées en sucres et pas top pour la santé » explique Squeezie, qui ajoute « Je me suis donné pour mission de créer un kombucha au goût le plus accessible afin de populariser ce type de boissons au plus grand nombre et boire tous un peu mieux ». La vision, la mission et l’ambition de la marque déclinées à travers une histoire personnelle appropriable et non un discours formaté.

Le kombucha n’est pas la plus connue, ni la plus festive des boissons. Avec Squeezie, elle va gagner en notoriété et en proximité et, à la fin, c’est le marché des produits naturels qui en sortira gagnant. Le digital au service du réel.

Etonnez-moi, Benoît

Puisque tout le monde est désormais convaincu que le futur du commerce tiendra à sa capacité à proposer des « expériences » inédites à ses clients, reste à définir ce que ce mot, utilisé à tout-va et avancé comme une solution magique, peut signifier réellement. 

L’expérience client est longtemps restée centrée sur l’acte d’achat, de l’accueil en magasin aux packagings en passant par un moment de vente tout en empathie pour marquer les esprits et susciter l’envie de le raconter. Tout doit donner au client le sentiment d’être unique. Pas facile facile, face à une pénurie de vendeurs motivés et aux exigences croissantes d’une clientèle ivre de son pouvoir. Puis vint le temps de la mise en valeur de l’histoire de la marque : ses origines, son savoir-faire, ses secrets à travers des événements sélectifs, des visites d’ateliers (très prisées) et des expositions à échelle variable. Pas donné à tout le monde. 

Voilà désormais le commerce tenté par une approche plus festive. Et plus radicale. Il y a quelques semaines, l’enseigne de néo-boulangeries The French Bastards (il fallait y penser) sollicitait ainsi le talent de Bob Sinclar, DJ renommé, pour ambiancer son établissement historique de la rue Oberkampf. 400 fans étaient massés dans la boutique et sur le trottoir (source TFB). A Toulon, la marque de prêt-à-porter Natif (huit magasins dans le sud) propose des afterworks tous les jeudis et a même lancé l’année dernière son propre festival organisé au sein de l’Hippodrome d’Hyères. 15.000 personnes y ont défilé en trois jours, autant fans de la marque que de musique. S’il n’est pas rare que des magasins de prêt-à-porter branchés organisent des DJ sets, force est de reconnaître que l’initiative est ici poussée à son paroxysme. Enfin, pour fêter ses dix ans, La Felicità, emblématique restaurant du groupe Big Mamma, sis non loin de l’incubateur Station F, proposait le 21 mai dernier, un giga food-court techno-disco, entre four à bois et boule à facettes, avec spritz, vibes festives et animations pour enfants (les Yoyo ne sont pas loin…). 

Relationnelles, culturelles ou festives, les expériences imaginées par les enseignes évoluent ainsi, au fil du temps, de la plus exclusive, pour mieux flatter l’ego, à la plus partagée et étonnante, pour privilégier le buzz et se doter d’une communauté. Mais leur ambition reste toujours la même : faire de la consommation un moment émotionnel. Qui a envie qu’on vienne lui rappeler qu’il est ici pour dépenser de l’argent ? 

It’grédient

A défaut de croire au miracle (il faut bien grandir), les consommateurs n’aiment rien tant que d’avoir le sentiment de connaître LE produit capable de répondre à leurs préoccupations du moment. Pour les uns, c’est l’ananas qui leur assurera un ventre plat et les baies de goji qui les protégeront à moins que ne soient les myrtilles ou l’avocat. Pour les autres, ce sont les protéines qui, ajoutées à leurs boissons ou à leurs yaourts, les aideront à acquérir le corps qu’ils espèrent. Quel ingrédient ne rêve pas de se voir doté d’un tel pouvoir ? 

Le dernier « it-grédient » du moment est le champignon. Si la cuisine est, depuis toujours, son lieu de prédilection, en salades gourmandes, en poêlées rustiques ou en soupes asiatiques, sa destination est désormais la salle de bain où son ambition est de devenir la nouvelle star de nos beauty routines grâce à ses propriétés hydratantes, antioxydantes, revitalisantes, apaisantes, et raffermissantes (n’en jetez plus). 

Son principal atout réside assurément dans ses origines naturelles. A la différence de nombreux ingrédients appréciés de la cosmétique, le champignon porte un nom et une histoire toujours associés à la nature, ce qui le rend encore plus désirable. Ici, pas question d’acide hyaluronique, de rétinol ou de Q10 mais d’un imaginaire de sous-bois et de grottes… même s’il arrive aux champignons d’être cultivés dans d’anciens parkings… Le champignon de Paris, doté de nombreuses propriétés thérapeutiques, est d’ailleurs déjà présent dans un des sérums de la marque Lush, preuve qu’il n’est pas condamné à faire de la figuration sur les pizzas quatre saisons… 

Le champignon possède aussi une étiquette internationale très appréciée des beautistas pour qui tout ce qui vient d’ailleurs est une opportunité pour affirmer leur expertise. Après le shiitake, voici le reishi et le chaga. Le premier, surnommé le « champignon de l’immortalité », est considéré comme un ingrédient miracle au Japon et en Corée. Le second, riche en antioxydants, est regardé comme un allié contre les signes de l’âge, les rougeurs et les agressions extérieures. 

Familier et naturel, simple et mystérieux, local et international, facile à consommer et multiple dans ses usages, le champignon cumule les vertus. Mais son principal atout ne tient-il pas à sa capacité à être autant présent dans nos cuisines que dans nos salles de bain ? A la fois food et cosméto, le champignon est la parfaite incarnation de la cosméto-food.

TiramiSoi

La lecture de Wikipédia est toujours une source d’enseignements. On y apprend ainsi que le tiramisu n’apparaît dans aucun livre de cuisine antérieur aux années 60, ni dans aucun dictionnaire ou encyclopédie des années 70 et 80. C’est pourtant au cours des années Mitterrand que le tiramisu a commencé à sortir des trattorias pour s’afficher dans la pleine lumière des menus des établissements Costes et autres lieux branchés (on parlait comme ça à l’époque), très rapidement rejoint par la panacotta, autre échappée de la botte italienne. So eighties. 

Les plus fins lettrés savent bien que le tiramisu vient de l’italien tirami, littéralement « remonte-moi », surtout le moral, intention parfaitement appropriée au début des années 80 qui commençaient à se faire dévorer par la récession économique. Quarante-cinq ans plus tard, le magazine Elle nous apprend que le tiramisu est plus hype que jamais (c’est comme ça que l’on dit aujourd’hui) au point de s’être affranchi de la recette de la Mamma. Ciao les biscuits cuillères trempés dans le café et la poudre de cacao, place à l’imagination, l’ingrédient préféré de tous les chefs qui s’envisagent Top. 

Et voilà le tiramisu salé (la Mamma vient de faire une crise cardiaque), le tiramisu matcha (il le fallait bien), le tiramisu fraise-citron (signé Lignac, qui d’autre ?), le tiramisu au brownie et même au Kinder Bueno (les Gen Z ne respectent rien) et autres Tiktokeries virales. Le #tiramisu dépasserait les cinq millions de publications. A Bordeaux, Toulouse et Marseille, des « Bars à Tiramisu » et des « Maisons du Tiramisu » ont déjà fait leur apparition en attendant de trouver le bon emplacement dans le Haut-Marais. 

Hier, le talent culinaire consistait à parfaire les recettes pour les sublimer et, ainsi, préserver la tradition ; aujourd’hui, il est de les réinventer pour se les approprierLa victoire du Je sur le Nous. 

Ce soudain attrait pour le tiramisu, au moment même où nous traversons de nouveau une crise économique, ne doit rien au hasard. Nos assiettes reflètent autant nos goûts que leur époque. Qu’est-ce qu’un tiramisu sinon un biscuit imbibé de ce que l’on veut, associé en couches à une crème neutre qui se marie avec tout (fruits, ganache…) et saupoudré de tout ce qui peut être saupoudrable, quelle qu’en soit la couleur. Un espace d’expression libre dans un cadre contraint. Une parfaite métaphore de notre consommation en cette période de tension budgétaire. 

Les p’tits prix

Chez Burger King, le Menu Bon et Pas cher (BPC pour les habitués) comprenant « un burger au choix, un petit accompagnement, une petite boisson et un petit bonus » s’affiche à 5 euros. Chez Lidl, les petits prix sont rebaptisés les « prix Oui » et tous ceux qui ont vu la campagne de pub réalisée pour l’occasion savent maintenant que les quatre crèmes dessert au chocolat peuvent valoir 74 centimes. Le vrai prix des bonnes choses ? Chez Action, 70% des produits sont à moins de deux euros et sur le site de Shein, les nouveaux clients peuvent bénéficier d’une remise de 25% sur une sélection de produits pour toute commande de plus de 29 euros… Comment s’étonner que les « petits colis » soient devenus, en quelques semaines, un sujet chaud ? On pourrait aussi citer ces « menus crêpe » (une crêpe et une boisson) à six euros ou encore ces cafés proposés à un euro au comptoir. 

Quand il fallait évoquer les enseignes et les produits accessibles, on a longtemps parlé de discount et de low-cost ; aujourd’hui, on leur préfère les « petits prix ». L’évolution est loin d’être anecdotique. « Petit », souvent renommé « p’tit » dans un ultime désir de les réduire encore davantage, c’est d’abord un langage consommateur concret quand « low-cost », plus technique, se situe du côté des enseignes. 

Un p’tit prix, comme un p’tit café ou un p’tit dessert, c’est un prix qui cherche à nous faire plaisir quand un prix bas est animé par l’idée de sauver les parts de marché de son enseigne. Un p’tit prix c’est aussi un prix qui cherche à se faire discret, presque à s’effacer de notre équation budgétaire quotidienne. Il est si petit qu’il ne compte pas et ne peut donc pas nuire à notre désir d’achat. Aussitôt dépensé, aussitôt oublié. Les petits prix maintiennent l’envie quand les offres low-cost préservent la consommation. 

Un p’tit prix, c’est enfin un prix d’ami, une bonne affaire dont il serait dommage de ne pas profiter tout de suite car, qui sait si elle va durer ? Les offres low-cost seront toujours là, elles. Alors bien sûr, les marques nationales expliqueront que « ce n’est pas comparable » en insistant sur leurs vertus. Il n’empêche. La multiplication des petits prix est la preuve qu’ils sont possibles. Et ils ne sont sûrement pas étrangers à la soudaine émergence des dupes. 

Si certains prix sont petits, d’autres semblent désormais trop grands.

Produits transformants

Barilla a récemment lancé Protein+, une offre de pâtes enrichies affichant un taux de 20% de protéines végétales issues des petits pois. Une façon de profiter de l’engouement actuel pour les aliments protéinés, en particulier dans l’univers laitier avec le skyr. La cible visée est, bien sûr, celle des jeunes actifs en quête d’alternatives aux protéines animales et qui tablent sur le pouvoir des protéines pour prendre soin de leur bien-être et leur silhouette, en échange de quelques heures passées « à la salle ». Aux États-Unis, le segment des pâtes protéinées pèserait déjà 7% du secteur. Un avant-goût de notre futur. 

Les produits fonctionnels constituent un exercice marketing bien rôdé. Cela a commencé par le « sans » (matières grasses, sucres, colorants…) preuve que, paradoxalement, on pouvait promettre « plus » avec « moins ». L’allégé a ensuite pris le relais, histoire de préserver la promesse de goût sans, pour autant, engendrer de culpabilité. Voici à présent le temps des enrichis, les « nouveaux riches » des linéaires. Les enrichis sont les « nouveaux sans »…

A chaque étape, son imaginaire. Celui de la privation et du contrôle pour le « sans ». De la préservation du plaisir et d’un « en-même temps » toujours possible pour les allégés. Et celui de la toute-puissance pour les enrichis puisque ceux-ci ont choisi de ne renoncer à rien et de promettre beaucoup. 

En enrichissant leurs produits, les marques enrichissent aussi leurs promesses. Une manière de se différencier des marques de distributeurs (même si celles-ci contre-attaquent de plus en plus rapidement…) autant que d’attirer l’attention de leurs consommateurs sur des produits devenus invisibles car installés depuis trop longtemps dans les linéaires. Confitures, boissons et yaourts sortent toujours gagnants d’une version d’eux-mêmes enrichie en fruits. Les chocolats enrichissent leurs promesses de goût et de qualité à coups de pourcentages de cacao revendiqués. Quant aux produits protéinés, leur promesse frôle celle des super pouvoirs. Demain, pourquoi pas des T-shirts enrichis en coton bio et donc en bonne conscience ? Ou encore des baskets enrichies en cuir végétal ? 

A défaut d’un monde plus riche, c’est un monde enrichi qui s’esquisse sous nos yeux avec ses produits porteurs de promesses fortes de plaisir et de transformation de soi. Si les produits transformés ont mauvaise presse, les produits « transformants » semblent, eux, appelés à un bel avenir.

Wellness

La presse nous apprenait récemment que la marque de prêt-à-porter Ba&sh propose, depuis peu, une offre « d’active wear » (brassières, leggings, t-shirts, et sweats à capuche) dans des matières « seconde peau » afin de capter l’engouement, né durant la crise sanitaire, pour le wellness et, plus particulièrement, pour le yoga dont le succès s’affirme année après année (10 millions de pratiquants en France). 

A l’instar de Ba&sh, de plus en plus de marques de mode trouvent un nouveau relais de croissance dans les équipements sportifs, animées par l’opportunité de se glisser dans la relation corps-esprit, elles qui, traditionnellement, sont dans l’empreinte sociale. Le wellness comme art de vivre et de célébrer son corps. 

Pour accompagner cette nouvelle offre, Ba&sh a imaginé des accessoires comme des tapis de yoga, des tote-bags et des gourdes, toujours bienvenus, ainsi qu’« un programme d’expériences immersives et exclusives » proposant des attendus ateliers (yoga, tarot…) et événements VIP, mais aussi, plus original, un programme de retraites inspirantes et exclusivement féminines

Dès cet été, à Biarritz, Barbizon et Ramatuelle, la marque proposera ainsi des séjours complets conçus pour permettre à leurs participantes de se reconnecter à leur féminité et célébrer le bien-être. Entre « zen attitude » et « vibes festives », précise-t-elle… Au programme : yoga, méditation sonore, promenade sur la plage, lithothérapie, nutrition, exercices de pleine conscience… 

Si l’initiative vient confirmer que la première destination du voyage est désormais son propre mental, elle illustre aussi une des possibilités offertes aux marques de mode pour sortir de leur territoire d’origine, devenu à la fois ultra concurrencé (e-commerce mondialisé) et moins désirable (mauvaise conscience environnementale) et réussir ainsi à préserver leur attractivité : proposer des expériences inédites d’hospitalité construites autour d’une vision de la vie. Une manière pour elle de s’affirmer comme des lieux de rencontres et de partage et de prolonger ainsi dans la vraie vie ce qu’elles ont pu initier sur les réseaux avec leurs différentes communautés.

Ici, le vêtement cesse d’être une fin en soi, la raison d’être d’une relation initiée avec une marque, pour devenir la clé d’entrée d’un univers dont les valeurs et les bénéfices lui profiteront en retour. Le triomphe de l’univers sur le produit.