Les p’tits prix

Chez Burger King, le Menu Bon et Pas cher (BPC pour les habitués) comprenant « un burger au choix, un petit accompagnement, une petite boisson et un petit bonus » s’affiche à 5 euros. Chez Lidl, les petits prix sont rebaptisés les « prix Oui » et tous ceux qui ont vu la campagne de pub réalisée pour l’occasion savent maintenant que les quatre crèmes dessert au chocolat peuvent valoir 74 centimes. Le vrai prix des bonnes choses ? Chez Action, 70% des produits sont à moins de deux euros et sur le site de Shein, les nouveaux clients peuvent bénéficier d’une remise de 25% sur une sélection de produits pour toute commande de plus de 29 euros… Comment s’étonner que les « petits colis » soient devenus, en quelques semaines, un sujet chaud ? On pourrait aussi citer ces « menus crêpe » (une crêpe et une boisson) à six euros ou encore ces cafés proposés à un euro au comptoir. 

Quand il fallait évoquer les enseignes et les produits accessibles, on a longtemps parlé de discount et de low-cost ; aujourd’hui, on leur préfère les « petits prix ». L’évolution est loin d’être anecdotique. « Petit », souvent renommé « p’tit » dans un ultime désir de les réduire encore davantage, c’est d’abord un langage consommateur concret quand « low-cost », plus technique, se situe du côté des enseignes. 

Un p’tit prix, comme un p’tit café ou un p’tit dessert, c’est un prix qui cherche à nous faire plaisir quand un prix bas est animé par l’idée de sauver les parts de marché de son enseigne. Un p’tit prix c’est aussi un prix qui cherche à se faire discret, presque à s’effacer de notre équation budgétaire quotidienne. Il est si petit qu’il ne compte pas et ne peut donc pas nuire à notre désir d’achat. Aussitôt dépensé, aussitôt oublié. Les petits prix maintiennent l’envie quand les offres low-cost préservent la consommation. 

Un p’tit prix, c’est enfin un prix d’ami, une bonne affaire dont il serait dommage de ne pas profiter tout de suite car, qui sait si elle va durer ? Les offres low-cost seront toujours là, elles. Alors bien sûr, les marques nationales expliqueront que « ce n’est pas comparable » en insistant sur leurs vertus. Il n’empêche. La multiplication des petits prix est la preuve qu’ils sont possibles. Et ils ne sont sûrement pas étrangers à la soudaine émergence des dupes. 

Si certains prix sont petits, d’autres semblent désormais trop grands.

Produits transformants

Barilla a récemment lancé Protein+, une offre de pâtes enrichies affichant un taux de 20% de protéines végétales issues des petits pois. Une façon de profiter de l’engouement actuel pour les aliments protéinés, en particulier dans l’univers laitier avec le skyr. La cible visée est, bien sûr, celle des jeunes actifs en quête d’alternatives aux protéines animales et qui tablent sur le pouvoir des protéines pour prendre soin de leur bien-être et leur silhouette, en échange de quelques heures passées « à la salle ». Aux États-Unis, le segment des pâtes protéinées pèserait déjà 7% du secteur. Un avant-goût de notre futur. 

Les produits fonctionnels constituent un exercice marketing bien rôdé. Cela a commencé par le « sans » (matières grasses, sucres, colorants…) preuve que, paradoxalement, on pouvait promettre « plus » avec « moins ». L’allégé a ensuite pris le relais, histoire de préserver la promesse de goût sans, pour autant, engendrer de culpabilité. Voici à présent le temps des enrichis, les « nouveaux riches » des linéaires. Les enrichis sont les « nouveaux sans »…

A chaque étape, son imaginaire. Celui de la privation et du contrôle pour le « sans ». De la préservation du plaisir et d’un « en-même temps » toujours possible pour les allégés. Et celui de la toute-puissance pour les enrichis puisque ceux-ci ont choisi de ne renoncer à rien et de promettre beaucoup. 

En enrichissant leurs produits, les marques enrichissent aussi leurs promesses. Une manière de se différencier des marques de distributeurs (même si celles-ci contre-attaquent de plus en plus rapidement…) autant que d’attirer l’attention de leurs consommateurs sur des produits devenus invisibles car installés depuis trop longtemps dans les linéaires. Confitures, boissons et yaourts sortent toujours gagnants d’une version d’eux-mêmes enrichie en fruits. Les chocolats enrichissent leurs promesses de goût et de qualité à coups de pourcentages de cacao revendiqués. Quant aux produits protéinés, leur promesse frôle celle des super pouvoirs. Demain, pourquoi pas des T-shirts enrichis en coton bio et donc en bonne conscience ? Ou encore des baskets enrichies en cuir végétal ? 

A défaut d’un monde plus riche, c’est un monde enrichi qui s’esquisse sous nos yeux avec ses produits porteurs de promesses fortes de plaisir et de transformation de soi. Si les produits transformés ont mauvaise presse, les produits « transformants » semblent, eux, appelés à un bel avenir.

Wellness

La presse nous apprenait récemment que la marque de prêt-à-porter Ba&sh propose, depuis peu, une offre « d’active wear » (brassières, leggings, t-shirts, et sweats à capuche) dans des matières « seconde peau » afin de capter l’engouement, né durant la crise sanitaire, pour le wellness et, plus particulièrement, pour le yoga dont le succès s’affirme année après année (10 millions de pratiquants en France). 

A l’instar de Ba&sh, de plus en plus de marques de mode trouvent un nouveau relais de croissance dans les équipements sportifs, animées par l’opportunité de se glisser dans la relation corps-esprit, elles qui, traditionnellement, sont dans l’empreinte sociale. Le wellness comme art de vivre et de célébrer son corps. 

Pour accompagner cette nouvelle offre, Ba&sh a imaginé des accessoires comme des tapis de yoga, des tote-bags et des gourdes, toujours bienvenus, ainsi qu’« un programme d’expériences immersives et exclusives » proposant des attendus ateliers (yoga, tarot…) et événements VIP, mais aussi, plus original, un programme de retraites inspirantes et exclusivement féminines

Dès cet été, à Biarritz, Barbizon et Ramatuelle, la marque proposera ainsi des séjours complets conçus pour permettre à leurs participantes de se reconnecter à leur féminité et célébrer le bien-être. Entre « zen attitude » et « vibes festives », précise-t-elle… Au programme : yoga, méditation sonore, promenade sur la plage, lithothérapie, nutrition, exercices de pleine conscience… 

Si l’initiative vient confirmer que la première destination du voyage est désormais son propre mental, elle illustre aussi une des possibilités offertes aux marques de mode pour sortir de leur territoire d’origine, devenu à la fois ultra concurrencé (e-commerce mondialisé) et moins désirable (mauvaise conscience environnementale) et réussir ainsi à préserver leur attractivité : proposer des expériences inédites d’hospitalité construites autour d’une vision de la vie. Une manière pour elle de s’affirmer comme des lieux de rencontres et de partage et de prolonger ainsi dans la vraie vie ce qu’elles ont pu initier sur les réseaux avec leurs différentes communautés.

Ici, le vêtement cesse d’être une fin en soi, la raison d’être d’une relation initiée avec une marque, pour devenir la clé d’entrée d’un univers dont les valeurs et les bénéfices lui profiteront en retour. Le triomphe de l’univers sur le produit. 

Un esprit Bistro

Après le wagon-restaurant, puis la voiture-bar, c’est désormais le Bistro TGV INOUI que les clients à grande vitesse de la SNCF fréquenteront pour contempler, ailleurs que depuis leur fauteuil, les paysages qui défilent.

« Un nouveau nom, une nouvelle expérience gourmande avec une carte inspirée des classiques de la cuisine française » annonce, lyrique, la compagnie ferroviaire, (solides) preuves à l’appui : saucisse de Toulouse et purée ou pommes de terre sauce gribiche, dés de Cantal, en plats de résistance, potentiellement suivis par un fondant ou un moelleux au chocolat. Le tout, sous l’œil bienveillant d’un barista (le néo loufiat) qui « vous accueille chaleureusement ». Une offre, imaginée dans le respect de l’environnement avec des recette de saison favorisant les filières d’ingrédients français et les circuits courts, précise la SNCF sur son site cochant ainsi toutes les cases du parfait story-telling. 

Jamais l’esprit bistro n’aura soufflé aussi fort dans nos assiettes que depuis la fin de la crise sanitaire. Cela avait commencé par le grand retour du Bouillon (quelle ville n’en possède pas aujourd’hui ?), envisagé comme la solution miracle à la crise de la restauration avec ses recettes de toujours, simples et consensuelles, ses petits prix, ses grandes salles bien remplies avec ses tablées qui ne s’éternisent pas, sa clientèle locale et internationale à touche-touche et sa file d’attente comme promesse d’ambiance et de partage. Inutile ici de réserver trois mois à l’avance pour avoir droit au service de 19h30. 

Après les Bouillons, ce fut le tour des bar-PMU, décrétés derniers bastions d’une authenticité devenue synonyme de vérité, à la fois capables de maintenir le lien dans les territoires oubliés depuis leur comptoir et de séduire les pointus du Fooding qui n’aiment rien tant que de se voir en défricheurs de l’air du temps. Voilà aujourd’hui le temps du bistro avec la saucisse purée comme étendard, ultime symbole d’une France qui, faute d’avoir réussi à installer le vivre-ensemble comme idéal, tente aujourd’hui le manger-ensemble comme solution à ses tensions.

A Paris, un restaurant éphémère (attention : concept) vient de s’installer à l’orée de la rue Montorgueil (jusqu’au 30 juin) avec, en mono promesse, un plat à 6,90 euros renouvelé toutes les trois semaines. Premier plat annoncé ? Une saucisse purée qu’il est possible de faire suivre par une mousse au chocolat à 2,90 euros. On a hâte de connaître le suivant…

Marques Lieux

Il n’y a pas que les marques de luxe qui sont tentées d‘ouvrir des lieux, cafés, restaurants ou hôtels, capables de porter leur esthétique et leurs valeurs. La presse nous apprenait ainsi la récente ouverture du Monocle Café, dans le vibrionnant quartier de Montorgueil à Paris et du, plus inattendu, Bonbonbon, à Villeneuve-d’Ascq, ville certes, moins vibrionnante, mais berceau de l’entreprise Bonduelle à l’origine de l’initiative. 

Le premier a les traits d’une « boutique-kiosque » (après le temps des flagships, place aux kiosques, caves, écrins et autres niches architecturales), ultime déclinaison du magazine lifestyle international Monocle qui trouve là l’occasion de nous présenter sa vision éthique et esthétique du monde à travers une sélection d’accessoires et de vêtements, soigneusement choisis ou fruits d’une collab’ pointue, et une carte courte composée des habituelles déclinaisons de cafés de spécialité, viennoiseries, cakes en tous genres et sandwichs japonais, complétées d’une sélection de vins et de cocktails disponibles en soirée. De quoi plaire à tous ceux qui aiment voyager en ayant l’impression de n’être jamais sortis de leurs habitudes. 

Le second propose une offre axée sur la street food flexitarienne, avec grilled cheese, bowls, sandwichs et pitas, pour mieux conquérir les jeunes consommateurs en tentant d’installer dans leur esprit l’idée que légumes et gourmandise ne sont pas forcément antinomiques. Le tout dans un décor pop pour rendre le végétal sexy… La carte rassemble les marques historiques du groupe, Bonduelle et Cassegrain, assorties de quelques signatures de start-ups locales, comme preuve de leur engagement.

Si les deux propositions semblent plutôt éloignées l’une de l’autre, les marques qui en sont à l’origine n’en partagent pas moins une vision commune quant à leur développement. Elles sont toutes deux animées du même désir de ne pas seulement exister à travers une offre de produits ou de services mais, aussi, de s’incarner en un lieu capable de susciter la curiosité et de devenir un point de rassemblementqui fasse naître chez leurs acheteurs le sentiment d’appartenir à une communauté. Rien ne remplace une proposition de moments pour les marques désireuses d’exprimer leurs valeurs. Et si ces lieux ne se situent jamais dans leur cœur de business, ils participent à la construction de leur image sur les réseaux. Ici, ROI est à entendre comme Retour sur Image.

Story Dreaming

Le magazine Elle, source éternelle d’inspiration pour tous ceux qui veulent capter l’air du temps ailleurs que dans les caddies, nous apprenait récemment que « la permanente reprend du service chez l’homme 2025 ». Chez les 15 à 25 ans (est-il besoin de le préciser ?) qui l’ont rebaptisée perm’ et qu’il ne faudrait pas prendre pour une inclinaison à s’engager militairement vu les tensions géopolitiques actuelles. 

Ici, la perm’ a pour unique mission de conduire à un effet « wavy », aussi appelé « retour de plage », considéré comme le Graal stylistique du moment, le summum de la coolitude instagrammable et le signe affirmé de la victoire de la civilisation des loisirs. Il fut un temps où les marques de gels capillaires nous promettaient un effet « out of bed » qui laissait penser à un réveil récent… 

Simple mode ou déconstruction en cours ? se demandait l’hebdomadaire. Sans doute un peu des deux, tant une part croissante des ados masculins prend aujourd’hui plaisir à se présenter sous un jour que l’on aurait qualifié de féminin dans le monde d’avant alors qu’il serait plus juste de parler d’une « Chalametisation » des codes, comme manière d’affirmer une singularité générationnelle. Notons au passage que les bigoudis ont, eux aussi, changé de nom et qu’ils se font désormais appeler « rollers », histoire d’effacer tout trace d’une présence continue dans le monde de la coiffure, des années 50 aux années 80. Les mots ont leur importance quand il s’agit de comeback. 

Un tel engouement pour une technique que l’on croyait disparue, qui suppose de disposer de temps, de supporter une odeur peu agréable, d’avoir de l’argent (compter une centaine d’euros, hors coupe) et une forme de résignation face au résultat obtenu, ne peut s’expliquer que par la force de la perspective d’apparaître sous un jour nouveau : comme lors d’un retour de plage idéalisé. Bien plus qu’un simple engouement stylistique comme peuvent le connaître la frange courte et la coupe mulet. 

Loin d’être anecdotique, cette nouvelle quête capillaire nous laisse entrevoir une possible évolution pour les storytellings, toutes marques confondues. Après s’être nourries de leur histoire, puis de celle des people et des influenceurs qui naviguent dans leur galaxie, les voilà qui pourraient aujourd’hui gagner en puissance en abordant la promesse d’un autre soi, voire d’un idéal de soi, qui ne serait, finalement, qu’une manière de venir rappeler la véritable ambition de la consommation. Après les story-tellings, place aux « story-dreamings ».

Les vertus de l’inattendu

Depuis peu, et pour quelques semaines encore, Franprix accueille dans cinq de ses magasins parisiens, la célèbre marque de doughnuts Krispy Kreme. Identiques à ceux proposés dans ses 19 points de vente, les doughnuts sont préparés dans l’atelier de production du flagship Krispy Kreme du Westfield Forum des Halles, puis livrés frais chaque matin chez Franprix dans un meuble siglé installé à l’entrée des magasins. Idéal pour donner envie à leurs clients à n’importe quel moment de la journée. Ceux-ci peuvent s’y servir à l’unité ou choisir une boîte de 6 ou de 12, pré-emballée ou à composer parmi les recettes qui font le succès de l’enseigne depuis son arrivée en France en décembre 2023. Ils ont également accès aux séries limitées, au gré des animations et des temps forts proposés par Krispy Kreme.

L’expérience de la marque est donc semblable à celle proposée par ses points de vente. Une expérience délocalisée, mais pas déclassée, qui n’est pas sans rappeler celle des shops-in-shop des grands magasins qui permettent aux marques qui veulent s’y installer de reproduire leurs codes identitaires et leur expérience d’achat. D’ici cinq ans, si le test actuel s’avère concluant, près de 500 meubles Krispy Kreme devraient voir le jour dans la grande distribution. 

Loin d’être anecdotique, l’initiative de Franprix vient nous dévoiler une des figures du commerce de proximité de demain : un commerce capable de proposer des marques, voire des enseignes, issues d’autres secteurs, comme preuves de son empathie et de sa capacité à capter l’air du temps. Une manière d’enrichir le parcours d’achat de ses clients et d’activer chez eux des désirs imprévus susceptibles de modifier leurs habitudes.

Devenir des lieux de surprise et d’étonnement au lieu de n’être que des lieux du connu et de la répétition, irrigués par la question du prix et du besoin, tel est le nouveau défi du commerce. Pendant la crise sanitaire, Franprix s’était déjà singularisée en abritant Hema afin de répondre aux attentes d’accessoires domestiques de la part de ses clients démunis face à des commerces fermés… La réussite d’une enseigne ne tient pas seulement à sa situation géographique et au flux que celle-ci peut générer, mais aussi à sa capacité à ne pas toujours être à la place qu’on lui assigne dans la construction de son quotidien. 

Quand la promesse se réduit aux seuls prix bas, la consommation s’enferme dans le besoin. Quand elle propose l’inattendu, elle s’installe dans le plaisir et les envies.

Contractions

Pour présenter sa Renault 5 E-Tech électrique, Renault a imaginé un nouveau concept de distribution destiné aux hyper-centres des grandes villes du monde entier et que l’on peut découvrir à Paris, 104 boulevard Haussmann. Outre sa taille réduite et sa proposition de produits dérivés (miniatures, vêtements et accessoires), la singularité du lieu tient, pour peu que l’on soit observateur, à son appellation : pas Renault Service, ou même un simple Renault, mais un inattendu RNLT

Dans l’univers de la mode, Diesel, DSquared2 et Mango se montrent depuis longtemps sous les traits de DSL, DSQ2 et MNG et la marque de mode Caroll propose, depuis peu, une ligne de maroquinerie premium et épurée nommée CRLL. Dans les médias, plus personne ne se demande ce que signifie TPMP (surtout depuis peu…) et chacun s’habitue à lire ou à entendre QVEMA (Qui Veut Être Mon Associé ?), DAVS (Danse Avec les Stars) et ONPC (On N’est Pas Couché). Entre autres. 

Cette vague d’acronymie ne doit rien au hasard. L’époque est aux contractions. Un phénomène que l’on peut expliquer par notre rapport déformé au temps, qui semble toujours nous manquer, autant qu’à notre désir insatiable d’afficher notre modernité en réinventant l’existant. L’explication est aussi à chercher du côté des nouvelles technologies et des réseaux, hauts lieux du court, déclaré gage d’efficacité, qui sont allées jusqu’à réinventer l’orthographe, la ponctuation et nos habitudes

Pour une marque, réduire son nom à une succession de lettres, c’est d’abord modifier la manière d’apparaitre et donc d’attirer l’attention. C’est miser sur la reconnaissance davantage que sur la lisibilité. La primauté du concept sur la réalité. C’est encore une manière de séduire une nouvelle génération d’acheteurs. Renault est une marque de Boomer avec sa référence historique à Louis Renault et son imaginaire de combats ouvriers associés à une ville qui s’appelait encore Boulogne Billancourt. RNLT est une marque de Gen Z pour qui la ref’ est la Start-Up Nation et Boulogne la ville de la Seine Musicale. Une Gen Z qui n’a jamais caché son goût immodéré pour les logos, tous destinés à finir un jour sur un sweat à capuche ou sur un T-shirt XXL.Pas si compliqué que ça, finalement, pour une marque de se réinventer. 

Une société qui affiche un tel goût pour les contractions n’est-elle pas une société qui nous dit, à sa façon, qu’elle est en train d’accoucher d’une nouvelle version d’elle-même ?

La valeur du temps

La Fashion Week parisienne devient, au fil du temps, une sorte de fête commerciale pas comme les autres, capable de renouveler un genre que l’on croyait coincé pour toujours entre les périodes de soldes multi déclinées et le désormais rituel du Black Friday. Quand ces derniers se focalisent exclusivement sur le prix, les animations imaginées durant la Fashion Week privilégient, elles, l’expérience, le moment et l’immersion. Une stratégie bien plus maline qui contribue à nimber la consommation de la touche émotionnelle attendue quand le combat pour le plus bas prix semble perdu d’avance pour une grande majorité de marques et d’enseignes.

Entre la forêt de pop-ups et de cafés éphémères promettant des expériences, « uniques et conviviales » et les soirées privées dans des lieux inhabituels qui rythment la Fashion Week (gros penchant pour les musées et les galeries, histoire de se donner un vernis culturel), l’initiative de la marque de mode Samsoe Samsoe, certes confidentielle, méritait l’attention. Elle consistait à inciter ses clients à lâcher leur smartphone pour mieux profiter de l’instant présent et du bouillonnement du moment en échange d’une remise pouvant aller jusqu’à 30%… calculée sur la réduction réelle du temps consacré à leur écran. Il leur suffisait pour cela de se présenter dans l’un des deux magasins parisiens de la marque avec une preuve de leur bonne conduite. 

Baptisée Pay with screen time, l’opération cumulait tous les ingrédients de la réussite du moment. Pour les clients : une durée limitée de manière à ne pas baisser la garde, un challenge personnel pouvant devenir une source de fierté digne de figurer sur les réseaux et une récompense sous la forme d’une réduction. Pour la marque : l’opportunité de se saisir d’un enjeu de société, la déconnexion numérique, et d’afficher ainsi une face engagée. Difficile de faire mieux. « Plus qu’une bonne affaire, cette activation est une déclaration culturelle dans le paysage hyper-numérique de notre vie quotidienne » affirmait, lyrique, le communiqué de presse de la marque. On ne saurait mieux dire. 

La presse nous apprenait récemment que le grand magasin Selfridges venait de lancer un programme de fidélisation inédit consistant à récompenser le temps passé dans son magasin. Plus je consacre de temps à ma consommation, plus elle devient une culture et plus ma relation aux enseignes que je fréquente se densifie. Il n’y a pas que sur les routes que ralentir est vertueux.

Les vertus de la routine

Longtemps connoté négativement, le mot routine a trouvé une soudaine et inattendue attractivité en passant par la case beauté-cosmétique. Mieux encore : une forme de modernité tant il est désormais impossible d’envisager de s’occuper de son apparence sans avoir une routine appropriée. Sa skincare routine. Voilà donc la routine, hier associée aux habitudes et aux manies, devenue synonyme d’expertise au point d’être considérée comme une forme d’expression personnelle, voire un « ego-booster » au service de la construction de soi. 

Celui ou celle qui invente une nouvelle routine bénéficie en effet aussitôt d’une reconnaissance lui permettant d’accéder au statut très envié d’influenceur et de connaître ainsi un succès certain sur les réseaux. Plus particulièrement auprès de la Gen Z, forcément. Chacun peut tenter sa chance comme, actuellement, dans le domaine du layering (superposition), qu’il s’agisse de soin, de maquillage ou de parfums. 

Une autre vertu de la routine est qu’elle ne connaît pas de frontières. On la retrouve aussi bien dans le monde de la cuisine que du bricolage sous la forme de « tips » lâchés sur le mode de la confidence, qui donnent aussitôt à ceux qui s’en emparent le sentiment de boxer dans une catégorie supérieure. Plus précise et valorisante que les habituels « conseils d’utilisation », la routine est l’antichambre du professionnalisme, installée au carrefour de la tradition (reproduire des gestes de toujours) et de l’innovation (inventer de nouvelles pratiques pour affirmer sa différence). 

Elle incarne un mode d’appropriation inédit où le consommateur cesserait de n’être que celui qui exécute ce qui lui est demandé pour devenir celui qui invente son propre chemin, innove et affirme ainsi son autonomie face aux marques. Une prise de distance qui ne doit rien au hasard, au moment où les consommateurs sont de plus en plus nombreux à douter de ce que les marques leur affirment… 

Selon une étude publiée récemment par Klarna, fintech suédoise d’achat et de paiement en ligne, 94% des Français considèrent que les routines beauté ont un effet bénéfique sur leur bien-être mental en augmentant leur confiance en eux et leur propre estime. On apprenait aussi, il y a peu, qu’Aroma Zone figurait désormais en seconde position parmi les enseignes préférées des Français alors qu’elle n’était pas encore dans le Top 10 il y a encore un an. Comment s’en étonner ? Aroma Zone n’est-il pas le temple du DIY et des nouvelles routines beauté ?