Commerce gigogne

La rue de Rennes, à Paris, serait-elle le laboratoire du commerce du futur ? Il y a quelques années, Uniqlo trouvait refuge dans les locaux de la Fnac, permettant ainsi à ses clients d’acquérir au même endroit un livre et une doudoune. Voilà que l’on apprend aujourd’hui l’ouverture d’un Decathlon au sein du magasin Boulanger. Et dire que certains trouvaient que tous les magasins fermaient les uns après les autres sur cette artère parisienne qui eut son heure de gloire dans les années 80-90. Toutes les révolutions ne sont pas toujours visibles. 

Après une période d’extension, caractérisée par la multiplication des points de vente, voici que se profile celle de l’intensification consistant à insérer les enseignes les unes dans les autresLa logique de l’hypertexte appliquée au commerce. Au moins, si l’une d’elles vient à fermer, cela sera moins visible que dans les rues de ces nombreux centre-ville considérés comme morts. La stratégie a ses avantages. Elle conduit aussi les enseignes à réinventer la largeur de leurs offres et de leurs services car les magasins ainsi installés ne peuvent apparaître sous leur forme habituelle, faute de place. 

Quand Decathlon rejoint Boulanger, c’est sous un format City dédié à la pratique sportive des citadins soit, essentiellement, le triptyque de la modernité urbaine, cycle-course-fitness, complétée d’une sélection d’essentiels. Pour dynamiser le lieu, Decathlon y a également installé un atelier de réparation et d’entretien (vélo, trottinette…) ainsi que des casiers pour retirer les commandes web. Idéal pour générer un flux dont Boulanger ne pourra que profiter. 

Cette stratégie, qui fleure bon le win-win, pourrait rapidement faire des émules. Hasard ou coïncidence, la presse nous révélait récemment qu’après un test concluant, la marque de sneakers française Panafrica venait d’officialiser un partenariat avec La Poste lui permettant de vendre dans une trentaine de ses bureaux deux de ses modèles en édition limitée, conçus aux couleurs emblématiques de La Poste. Celle-ci s’était déjà essayée à la vente directe avec Le Slip Français puis les verres Duralex, preuve de son désir de doter ses bureaux de nouvelles missions, maintenant que le courrier traditionnel se tarit. 

Alors que le commerce du monde réel s’interroge sur son avenir, pourquoi pas le commerce gigogne ? Une ultime déclinaison du deux-en-un.

Le sac de mes envies

Alors que les acheteurs de sacs de luxe sont traversés par une soudaine fatigue, précipitant les résultats du secteur dans un abyme inattendu, il est plaisant de constater que le syndrome ne semble pas toucher la marque de sacs Cabaïa. Certes, il ne s’agit pas d’une marque de luxe, mais s’interroger sur la permanence de l’envie chez certains peut permettre de venir en aide à ceux qui l’ont perdue. 

Cabaïa vient de fêter ses dix ans et son succès est tel que la marque est devenue numéro un des sacs à dos en France, place pourtant solidement tenue par Eastpak. Réduire la raison de son succès au seul prix de ses produits serait de courte vue car chacun sait qu’il ne suffit pas d’être bon marché pour voir ses parts de marché grandir… Cabaïa n’est pas une marque qui fait fantasmer les influenceuses et les fashionistas. Elle fleure bon une certaine France périphérique et invisible, faite de consommatrices qui aiment flâner chez Promod, Kiabi, ou But, à la recherche de la dose minimale de modernité et d’affirmation de soi nécessaire pour ne pas se sentir exclues de l’époque. Entre le « pratique sympa » et le « à la mode mais capable de durer ». 

Pour les séduire, Cabaïa dispose de deux atouts. Le premier est que ses fondateurs ne viennent pas du milieu de la mode mais du commerce et de la tech, ce qui leur permet de poser un autre regard sur leur offre, libéré de toutes les injonctions attribuées aux tendances et animé par la recherche de points de différenciation concrets comme la praticité, la longévité et diverses astuces de customisation. Résultat : des sacs personnalisables, réparables à vie et certifiés B Corp pour faire oublier une fabrication en Chine au profit d’une consommation responsable. Des sacs capables de donner envie aux copines, qui n’auraient pas pu être achetés par leurs mères et qui constituent un cadeau idéal pour un pot de départ.

Le second atout de la marque tient à la force de sa communauté, engagée, diversifiée, intergénérationnelle et régulièrement consultée« On ne veut pas traiter les membres de la communauté comme des clients mais comme des associés… on les fait participer de A à Z, du design jusqu’aux fonctionnalités… » déclarent les fondateurs de Cabaïa. Bien vu. Ici, le sentiment d’appartenance espéré par toutes les marques ne se contente pas de s’afficher, il se vit.

L’appropriation s’est substituée à l’appartenance et le sac de mes envies, au sac de leurs envies.

Partage, partage

Au moment où la question du temps passé sur les écrans hante les esprits et les médias, force est de constater qu’émergent quelques remèdes, signes d’une prise de conscience et manière pour le réel de nous dire qu’il n’a pas dit son dernier mot. 

Ici, ce sont des soirées sans smartphone, là, des restaurants qui nous invitent à les déposer dans une boite avant de passer à table. Ou encore la multiplication des propositions de rencontres dans la vraie vie, autour d’activités ou lors de fêtes de village ressuscitées après des années de datings qui finissent par ressembler à des entretiens d’embauche. C’est aussi le grand retour des jeux de société, de cartes et même des échecs qui cartonnent auprès des plus jeunes qui aiment se retrouver dans des cafés ludiques, eux que l’on croyait tombés dans une faille spatio-digitale. Chaque seconde, il se vend une boîte de jeux de société en France, affirment les professionnels du secteur, pas mécontents. 

Toutes les marques se demandent comment profiter de ce nouveau comportement, vite requalifié en « tendance sharing ». Leurs réponses seront les mini formats et les formats à partager, preuve que la circulation des goûts, des formes et des textures est une condition de la convivialité. 

Inspiré par Krispy Kreme, Burger King lançait ainsi cet été des baby-burgers en boîtes de trois, ou carrément de neuf, permettant de découvrir l’étendue de ses recettes. Une première mondiale qui ne pouvait nous empêcher de nous demander pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour les voir apparaître tant il semble évident que les offres minis sont appelées à un bel avenir. 

Pas seulement parce qu’elles sont « l’appartement témoin » du savoir-faire des marques ou qu’elles répondent à l’attention actuelle portée à son budget et à sa santé. Mais surtout parce qu’elles viennent confirmer la puissance de deux imaginaires moteurs de la consommation d’aujourd’hui : celui de l’inclusion, désormais envisagé comme le nouveau vivre-ensemble, et celui de l’apéro, devenu le moment ultime d’une convivialité longtemps réservée aux repas. 

L’individualisation des goûts et l’éclatement des moments de consommation pouvaient nous laisser penser que nous ne nous réunirions plus pour manger que pour les grandes occasions. C’était manquer d’imagination. La Gen Z renoue avec le plaisir de l’échange en vrai, du jeu et de la discussion au point que l’on peut se demander si la table basse ne serait pas en train de devenir le nouvel écran.

Les leçons de l’été

Outre la canicule, que fallait-il retenir de cet été ? Les Labubu, peluches porte-clés, en forme de lapins monstrueux, accrochées sur de nombreux sacs à dos ou de luxe. Un signe (supplémentaire) de ralliement communautaire autant que la confirmation de l’envie actuelle d’afficher ses émotions

Le Sauvy B, né sur TikTok avec l’intention de supplanter le Spritz : un Sauvignon frappé, agrémenté de quelques tranches de piment jalapeño préalablement surgelées. La recette de l’innovation tient bien à la combinaison du connu rassurant et de l’inconnu frissonnant. 

Le retour en demi-teinte d’Intervilles, signe que la nostalgie et l’intergénérationnel ne sont pas toujours la terre promise espérée. Ou encore la Terrasse du Ritz, place Vendôme, preuve du désir des marques d’occuper toujours un peu plus l’espace public (les trottoirs, les plages) et de capter ainsi notre attention, le nouveau nerf de la guerre. 

On a aussi appris qu’à Shangai (demain, ici, qui sait ?), la marque Vuitton avait installé un retail boat inédit : un navire en trompe l’œil de trente mètres de haut avec sa coque en métal monogrammé et une cabine de pilotage évoquant un empilement de valises. Baptisé The Louis, il a été conçu pour attirer une clientèle chinoise, que le monde du luxe trouve en ce moment un peu « fatiguée », grâce à diverses salles thématiques imaginées autour des savoir-faire et de l’histoire de la marque, complétées par un Café Louis Vuitton, histoire de rendre une part du rêve accessible. Proposer de nouveaux formats de distribution est toujours une manière de déclencher l’envie d’acheter. Après les pop-ups, devenus au fil du temps trop nombreux et trop attendus, le flagship pourrait revenir en grâce au sens littéral du mot… 

Du pop-up au retail boat, n’est-ce pas finalement à un exercice de grand écart que doivent désormais se livrer toutes les marques désireuses de prouver leur vitalité ? Un mouvement qui n’est pas sans évoquer celui de l’éventail, autre succès de cet été accablant. Familier des Espagnols, le voici aujourd’hui sorti de son registre folklorique sous l’impulsion de créateurs de mode qui le voient comme un accessoire stylé, sensuel et inclusif, parfait pour faire face à des températures hors de contrôle. Un geste sec associé à un claquement pour l’ouvrir et se faire remarquer et voilà l’objet prêt à produire la légère bise attendue. Un grand écart pour un nouveau souffle : impossible de ne pas y lire un message.

La route enchantée du café

Alors que la trêve estivale approche, tous les esprits sociologisants tentent de trouver le it-produit capable d’incarner les attentes des consommateurs de ce premier semestre. Si l’exercice est aussi arbitraire que celui consistant à définir la couleur de l’année, le café pourrait y prétendre tant il est devenu omniprésent dans notre quotidien. 

La France, pays du zinc et du p’tit noir, s’est en effet rapidement convertie aux coffee-shops qui poussent comme des champignons, parfois les uns à quelques mètres des autres, annonçant une lutte prochaine qui ne sera pas sans victimes. En attendant, assis sur un tabouret ou sur un banc partagé, chacun tente, lunettes noires sur le nez, de s’approprier leur langage et leurs tarifs. Un flat white n’est pas un cappuccino qui n’est pas un latte et la tranche de Banana bread se négocie ici autour de cinq euros. 

Nombreuses sont aussi devenues les enseignes proposant un espace café dans leurs magasins quand ce n’est pas un pop-up spécifique plus ou moins immersif avec promesse d’expériences exclusives. Dior, Vuitton, Saint Laurent, Hermes, Kitsuné ont été les premiers à y penser pour leurs flagships. Ils sont aujourd’hui rejoints par Longchamp, Lancaster, Kujten et Clarins qui, tous, ont récemment imaginé un café éphémère à leurs couleurs. L’austère librairie La Procure en possède même un, depuis peu, en partenariat avec le café Coutume. Proposer un café, c’est l’assurance de redonner de l’attractivité à son commerce. Il est d’ailleurs toujours présent dans les magasins hybrides qu’affectionnent tant les Gen Z et les Millennials comme le Coffee & Flower Les Artizans, le café-céramique La Papoterie (chacun, trois adresses dans la capitale) sans oublier toutes les néo-boulangeries du moment. 

Le café (de spécialité) attire, le café créé du lien communautaire, le café n’est pas (trop) cher, le café donne un supplément d’âme et de modernité et les coffee shops sont bien plus instagrammables que tous les Balto réunis. Le café est aussi associé à un imaginaire d’expertise cool très valorisant et peut facilement endosser nombre de discours éco-responsables ou humanistes auxquels le Gringo de Jacques Vabre n’aurait jamais pensé. 

De la tasse à la bonne conscience, le café a tout bon. Et s’il doit être regardé comme un exemple à suivre, c’est qu’il coche toutes les cases de la nouvelle route enchantée du marketing : produit-lieu-culture-esthétique-engagement. Malheur aux marques qui en oublieraient une. 

Les œufs à la cote

Depuis Christophe Colomb, on sait que l’œuf est autant un symbole qu’un aliment. Un symbole de simplicité et, désormais, de nos attentes quand il s’agit de passer à table. La France n’est pas seulement le premier producteur d’œufs d’Europe mais aussi le premier consommateur. Cocorico. Nous avalerions chacun, en moyenne, plus de 4 œufs par semaine, soit, selon les statistiques officielles, 226 œufs en 2024 contre 182 l’année précédente. Mais de quoi cette « oeufmania » est-elle le nom ? 

Certains ne manqueront pas d’y voir le reflet des tensions budgétaires actuelles qui incitent les ménages à surveiller de près leurs dépenses. C’est sûrement l’un des facteurs explicatifs. Puisque l’œuf est aussi bon pour la santé que pour le porte-monnaie, pourquoi se priver ? 

Les autres y verront le signe d’une attention croissante portée au contenu de son assiette, et, plus particulièrement, à la présence de protéines aujourd’hui très recherchées pour leur contribution à notre transformation physique (dernière nouveauté repérée : le Mini Babybel Protéine…). Surtout par ceux, de plus en plus nombreux, qui ont réduit leur consommation de viande. Deux œufs contenant autant de protéines qu’un (petit) steak haché, une corrélation entre la consommation d’œufs et la montée en puissance des pratiques sportives régulières (muscu, running, trail, marathon et autres plaisirs addictifs) s’impose. 

Il fut un temps où manger trop d’œufs était mal vu par tous ceux qui surveillaient leur cholestérol, mais depuis que la notion de « bon cholestérol » s’est imposée dans les discours, l’œuf est disculpé et sa consommation, libérée. Pour preuve : le retour en grâce de la cuisine de bistrot avec, en tête de gondole, l’œuf mayo (œuf + œuf) et la mousse au chocolat (œuf puissance quatre), l’apparition sur les cartes de certains établissements estampillés fooding d’un « œuf parfait », comme une performance, ou encore la généralisation des brunchs 24/24, 7/7 destinés à une population en transit permanent où l’œuf tient le premier rôle du début à la fin de la carte. 

Difficile d’imaginer notre quotidien d’aujourd’hui sans œufs. Pour reprendre un qualificatif très apprécié par le petit monde de la mode, l’œuf est un aliment versatile. Une vertu dont jouissent peu d’aliments et qui assure à l’œuf sa modernité. Et comme, en plus, les Français n’ont jamais autant consommé de poulet (+25% en 5 ans, surtout en RHD), c’est peu dire que la poule est devenue notre héroïne.

Solo-itude

Selon le site de réservation en ligne de restaurants The Fork, les réservations au restaurant pour une personne seule ont augmenté de 18% en 2024. Une récente étude publiée par l’ObSoCo nous apprend que la baisse de la natalité s’explique aussi par celle du nombre de couples. Selon l’INSEE,la proportion de moins de 30 ans vivant en couple a diminué de 15 points entre 1990 et 2020, passant de 70% à 55%. Un chiffre qui ne prend pas en compte les couples « non-cohabitants » qui, tout en entretenant une relation, choisissent de maintenir des domiciles séparés. Le phénomène, observable un peu partout dans le monde, a été qualifié de « relation recession » par le Financial Times, jamais en retard d’une tendance. 

Les explications abondent : entrée plus tardive dans le monde du travail, coût du logement ou encore (et surtout) individualisation croissante des comportements et, singulièrement, des jeunes femmes qui préfèrent rester célibataires plutôt que de s’engager dans une relation qui ne corresponde pas à leurs attentes, notamment en termes d’égalité domestique. Le célibat tend à devenir la norme et un couple qui emménage ensemble a désormais plus de chances de se séparer que d’avoir un enfant… 

Conséquence : les offres solos se multiplient, qu’il s’agisse de « solo trips » destinés à ceux qui partent seuls en voyage (de plus en plus nombreux), de retraites littéraires (ultime tendance), de l’onglet « Manger seul » sur le site du Fooding ou encore de la généralisation des comptoirs installés face aux cuisines dans les restaurants. Ainsi, le spectacle n’est plus seulement dans la salle mais assuré par la brigade. Vive le show cooking ! 

Mais, au-delà de ces nouvelles propositions ciblées, la vie solo suscite aussi, par ricochet, un surinvestissement des relations amicales parmi les plus jeunes, qui peut autant se lire à travers le succès des apéros « Spritz + planche » (en passe de supplanter les dîners), des jeux de société et des soirées In Real Life sans téléphone, que dans celui des visites immersives de musées, des escape games ou des expériences d’achat inédites, à coups de pop-ups ou de collab’ inattendues. 

Voilà qui explique pourquoi l’expérience est aujourd’hui davantage recherchée que la possession : une promesse de partage émotionnel et d’images destinées à circuler sur les réseaux. Des moments producteurs de souvenirs plutôt que des achats constructeurs d’égo. Plus que jamais, consommer, c’est partager.

Occuper le terrain

A l’occasion de la fête des voisins, le Bouillon Pigalle, Pink Mamma et La Machine du Moulin Rouge s’associaient pour créer, rue Duperré (Paris 9), « la plus grande de tablée de Paris » mêlant les intemporels plats du Bouillon et les emblématiques piatti italiens de Big Mamma, ambiancée par la Machine du Moulin Rouge, le tout pour 39 euros par personne. Fin mai, la néo boulangerie The French Bastard mettait le feu à la rue Oberkampf avec la complicité du DJ transgénérationnel Bob Sinclar. Et voilà que La Grande Epicerie de Paris se lâche à son tour en annonçant vouloir transformer, à l’occasion des dix ans du Food Market, la très chic rue du Bac en « guinguette urbaine mélangeant spots gourmands du 7ième et adresses emblématiques du nord parisien avec DJ set et atelier maquillage pour les enfants ». Une invitation à faire dialoguer les deux rives. De mémoire d’habitant, on n’avait jamais vu ça dans le septième arrondissement. 

Non loin de là, Pucci, la marque de luxe florentine du groupe LVMH, s’installe, jusqu’à fin juillet, au Bar de la Croix-Rouge, LE QG de tous les habitants cool du village germanopratin, qu’elle habille pour l’occasion de ses couleurs psychédéliques, histoire de donner à ses clients le sentiment de se sentir déjà un peu ailleurs. Il y a quelques semaines, la marque Ami profitait de l’ouverture de son dernier flagship dans le Haut-Marais (où, ailleurs ?) pour afficher sa proximité avec les commerçants de la rue de Bretagne où voisinage et appartenance communautaire semble ne faire qu’un. Jeu de piste, partenariats, exposition et livre de photos étaient au programme. 

Occuper de nouveaux territoires a toujours été l’obsession de toutes les marques désireuses d’étonner et donc, de faire parler d’elles. On comprend qu’il s’agit aussi, désormais, de territoire géographique. Les avantages ne manquent pas. Afficher son appartenance à un quartier est d’abord pour une marque une manière de montrer qu’elle n’est pas seulement animée par des préoccupations marchandes. C’est aussi la preuve que l’inévitable mondialisation peut se décliner localement, ce qui lui donne aussitôt un visage plus sympathique. C’est enfin l’opportunité de matérialiser un entre-soi qui ne manquera pas, en retour, de se transformer en un précieux engagement de la part d’acheteurs ainsi confortés dans leur sentiment d’être à la « bonne » place. 

Tisser des liens de proximité deviendrait presque plus stratégique pour une marque que conquérir de nouveaux clients. 

Grosse fatigue

Commerce atone, immobilier en pause, automobile en transition, bricolage et jardinage en mode régime : la France de la consommation semble être à l’arrêt en attendant qu’un futur se propose. Conséquence : le mot compte triple du moment est Fatigue. Sept lettres. Pas mieux. 

Au début de l’année, le patron de Chanel évoquait une « fatigue du luxe », expression, depuis, largement reprise, pour désigner une moindre envie d’acheter très chers des produits dont la valeur réelle ne saute pas aux yeux. De mauvais esprits diront, plus simplement, que les amateurs de luxe commencent à en avoir assez de passer pour des pigeons… Le succès des dupes vient prouver qu’il ne leur aura pas fallu beaucoup de temps pour trouver une solution à leur lassitude. Selon une étude récente, un Français sur trois aurait succombé aux dupes de produits cosmétiques au cours des douze derniers mois… Depuis le temps que l’on parle de « consom’experts », il fallait bien que cela arrive (aussi) sous cette forme. 

Hasard ou pas, jamais la presse n’a accordé autant d’articles au sommeil, devenu en quelques mois un enjeu de santé publique à l’origine de notre stress, de notre manque de concentration et de notre réactivité à fleur de peau. Réussir son sommeil, c’est réussir sa vie. 

Ne pas (trop) manger avant de se coucher, faire « matelas à part », réduire son temps d’écran et la température de sa chambre, veiller à la régularité de son lever et de son coucher… Les bons conseils abondent et il n’est pas surprenant que les marques tentent de transformer cette soudaine préoccupation en réjouissant business.

Kusmi Tea, dont la notoriété s’est construite sur ses mélanges Détox, propose désormais un Rituel Sommeil « une infusion bio fruitée aux bienfaits cliniquement prouvés ». Sur les linéaires, les produits qui nous veulent du bien se reconnaissent facilement à l’usage qu’ils font du mot « vitalité » plein d’espérances. Les herboristeries connaissent un succès inattendu et les hôtels multiplient les propositions de séjours (rebaptisés expériences) promettant de renouer avec un sommeil « réparateur » grâce à moult soins en blouses blanches. Des séjours forcément « no kids ». 

Mais si la France est fatiguée, est-ce seulement parce qu’elle dort mal ? Après la fatigue d’être soi, engendrée par le culte de la performance, ne sommes-nous pas en train de payer la fatigue de toujours vouloir devenir un autre ?

Kombucha gagnant

Les influenceurs ne pouvaient pas éternellement rester les porte-parole des marques en se contentant de déballer et de commenter ce qu’elles leur offrent à travers des mises en scène ego-centrées qui, seules, les distinguent des émissions de télé-achat. La tentation de soutenir leurs propres produits était grande. Elle commence à devenir une réalité. Après quelques irruptions attendues dans les domaines de la mode et de la cosméto à travers d’opportunistes pop-up stores, voici aujourd’hui les influenceurs animés par l’idée de mettre un pied dans notre caddie. 

Un des plus connus d’entre eux, Squeezie (19 millions d’abonnés) a ainsi récemment annoncé, sur les réseaux (où ailleurs ?), le lancement de son kombucha sous le nom de Ciao Kombucha aux surprenantes évocations italiennes (bien que brassé en Espagne) et disponible en six saveurs. Une vraie gamme. Il s’agit là de la deuxième diversification de l’influenceur, après le lancement de sa marque de vêtements aujourd’hui disparue. L’initiative mérite d’être suivie car elle permettra de mesurer le pouvoir effectif des influenceurs sur le monde réel et, plus particulièrement, leur capacité à doter les produits qu’ils proposent d’une aura lifestyle plus attractive que celle suggérée par les marques à travers leurs communications habituelles. 

Ici, pas de savoir-faire séculaire, de tradition portée par des gestes ou de légitimité induite par une appartenance territoriale. Rien d’autre qu’un nom pour rampe de lancement, seulement connu de ceux qui fréquentent les réseaux mais associé à une trajectoire individuelle perçue comme un gage de sincérité et d’authenticité. Deux valeurs très appréciées en cette période où la parole des marques est spontanément mise en doute. 

« J’ai découvert les boissons naturelles il y a 2 ans et ça m’a carrément aidé à diminuer ma consommation de sodas et d’autres boissons souvent saturées en sucres et pas top pour la santé » explique Squeezie, qui ajoute « Je me suis donné pour mission de créer un kombucha au goût le plus accessible afin de populariser ce type de boissons au plus grand nombre et boire tous un peu mieux ». La vision, la mission et l’ambition de la marque déclinées à travers une histoire personnelle appropriable et non un discours formaté.

Le kombucha n’est pas la plus connue, ni la plus festive des boissons. Avec Squeezie, elle va gagner en notoriété et en proximité et, à la fin, c’est le marché des produits naturels qui en sortira gagnant. Le digital au service du réel.