Maisons de campagne

Depuis la crise sanitaire, la maison de campagne fait de nouveau fantasmer. Plus facile à rejoindre qu’une maison de vacances, plus souvent immergée dans la nature qu’implantée au bord de la mer, la maison de campagne est porteuse d’une histoire qui n’attend plus que de rencontrer la nôtre. Elle est une promesse de ressourcement, d’inspiration, de reconnexion, de temps ralenti. Qui pourrait résister ? 

Conséquence : le tourisme rural explose, de nouvelles offres font leur apparition et le Perche s’affirme comme un Lubéron de proximité. D’anciennes demeures, manoirs, longères, relais de chasse ou « folies » dont l’entretien était devenu trop coûteux, se réinventent en maisons de campagne à louer, partager, kids-friendly et à la déco chinée, cool et iconique, parfaite pour suggérer de chaleureux moments au coin du feu. Ces « collections de maisons prêtes à vivre à moins de deux heures de Paris » sont proposées pour de courtes durées avec option baby-sitter, réfrigérateur plein de produits régionaux, barbecue et paniers pique-nique clés en mains pour des promesses de déjeuners inoubliables. De nouvelles maisons d’hôtes (qui se seraient choisis) qui permettent de vivre comme dans un film de Sautet et de jouer la comédie du bonheur sans se préoccuper du matériel. Pas étonnant qu’elles séduisent. 

Le phénomène touche également le monde de l’entreprise où commencent à apparaître d’inattendues résidences secondaires reprogrammées en mode corporate à destination des salariés, surtout trentenaires, qui peuvent y télétravailler, brainstormer, peaufiner leurs slides dans un cadre instagrammable aspirationnel mais aussi s’en échapper pour faire de la rando, méditer, embrasser les arbres et, le soir venu, y revenir pour se lâcher lors d’apéros à rallonge ou de DJ sets improvisés dont aucun voisin ne se plaindra. Quoi de mieux pour souder les équipes projet et redonner de la désirabilité à la marque employeur ? 

Le succès de ces deux modèles de néo-maisons de campagne, sur lesquels personne n’aurait parié dans les années 90 et qui agitent aujourd’hui les investisseurs de tous poils, ne doit rien au hasard. Il nous confirme un regain d’attrait pour la campagne autant qu’il nous renseigne sur les trois grands moteurs de la consommation, ceux capables de déclencher les envies d’achat tant espérées : l’ailleurs ressourçant, l’entre-soi protecteur et l’esthétique valorisante. La combinaison gagnante du moment. 

Remède à la porosité

On apprenait récemment le lancement d’une nouvelle chaîne dédiée aux animaux de compagnie. Baptisée Dog & Cat TV, elle entend informer, conseiller, émouvoir et divertir les spectateurs. Au programme, des reportages sur l’actualité des quatre pattes, des conseils santé, de la nutrition et de l’éducation, des documentaires ainsi que des programmes reprenant les codes de la téléréalité. Gamelle des chefs et Cœurs à adopter devraient avoir leur petit succès… 

Depuis quelques années, l’économie du chien et du chat se porte bien et le marketing n’a pas mis longtemps à renifler la niche. Pour preuve, la multiplication des garderies, dog-sitters, éducateurs canins de tous poils suscitant au passage de nouveaux passages obligés, de nouveaux codes et de nouvelles habitudes de consommation. De quoi aiguiser les appétits les plus variés et ravir les « pet-parents », le nouveau nom de ceux que l’on appelait « les maîtres » dans le monde d’avant. 

Notons au passage que si les chats ont eu leur moment de gloire sur le net grâce à leurs pitreries, ce sont les chiens qui ramassent la mise dans la vraie vie. Leur nombre n’a pas beaucoup varié en France (9,9 millions en 2024), mais l’âge de leurs propriétaires a, lui, singulièrement chuté puisque ce sont les moins de 35 ans qui constituent l’essentiel des propriétaires. Il est loin le temps des chiens-chiens à sa mémère. 

Pour expliquer ce phénomène, les explications abondent. Certains voient le chien comme une sorte d’épreuve probatoire du couple avant l’arrivée du premier enfant. Le chien au service du réarmement démographique. L’âge du premier enfant ne cesse-t-il pas de reculer pendant que croît le nombre de couples ne souhaitant pas d’enfants ? D’autres, plus psychologues, considèrent que les animaux domestiques constituent une protection rassurante pour des Gen Z inquiets de la marche du monde et de sa cohorte d’incertitudes. Un remède à la porosité de l’extérieur autant que la preuve manifeste que la société de consolation n’est pas qu’une théorie. Chiens et Labubu, même combat. 

Enfin, face à l’omniprésence des relations virtuelles, l’animal de compagnie incarne un antidote, une manière de renouer avec la matérialité du réel, l’instant présent et même la socialité tant le chien peut se révéler être un vecteur de rencontres et d’échanges. Un retour au réel confirmé par le succès des jeux d’échec et de plateaux ou encore de la van-life auprès des trentenaires. Eux que l’on imaginait égarés dans le virtuel…

Magasin magazine

Les grands magasins et les magazines sont les deux grandes victimes de la digitalisation. Comment s’étonner qu’ils aient eu l’idée de se rapprocher pour prouver qu’ils ne sont pas condamnés à disparaître ? Les premiers aiment désormais se présenter comme des lieux d’expériences (jusqu’à accueillir une scène de théâtre comme Le Bon Marche…) et les seconds, sortir de leurs dos de kiosques quand ils collent à l’actualité. Pendant la fashion week, par exemple. 

Le magazine Grazia s’est ainsi installé au premier étage de la Samaritaine jusqu’au 29 octobre sous la forme d’une exposition retraçant son histoire éditoriale à travers ses couvertures les plus marquantes depuis son premier numéro en 1938. Chaque époque évoquée est l’occasion de mettre en scène une des pièces de la saison actuelle. Malin. Des conférences autour de la création d’un magazine viennent compléter l’expérience. 

Même stratégie au BHV avec Elle qui, à l’occasion de ses 80 ans, avait habillé les vitrines du magasin et imaginé des espaces dédiés. Chaque mercredi de septembre, les lectrices étaient ainsi invitées à rencontrer les journalistes du titre et à découvrir ses coulisses alors que le samedi était dédié à des événement plus lifestyle autour du plaisir et du bien-être. 

La stratégie est claire : en s’alliant à des magazines féminins iconiques, les grands magasins affirment leur appartenance à leur époque, suggèrent un autre regard sur leur identité et leur offre, transforment leur surface de vente en lieux d’événements et s’adressent à une clientèle curieuse, en quête de sens et de proximité, au-delà de leur simple acte d’achat. 

Pour les magazines, ces partenariats représentent aussi une manière de prolonger leur influence dans l’espace physique alors que leur modèle économique se réinvente. Quand toute la presse écrite migre vers le digital, s’affirmer dans le réel avec des acteurs que l’on pensait appartenir au monde d’avant n’est-elle pas une manière de se différencier et, ainsi, d’attirer l’attention ? 

Le concept de magasin-magazine n’est finalement qu’une des expressions possibles du concept-store qui faisait tant fantasmer le commerce à la fin des années 90, convaincu de la nécessité de décloisonner ses offres pour présenter la consommation comme un art de vivre. Mis en scène et recontextualisés, les produits mutent en objets, les acheteurs, en esthètes, les marques, en histoires et les magasins, en galeries. Une transformation que peut difficilement promettre le digital. 

Effet de mousse

Quand, au début des années 2010 (avec la naissance de Ten Belles et du café Coutume), les premiers baristas firent leur apparition à Paris, jeunes, barbus, tatoués, australiens ou anglo-saxons, leurs discours sur la sélection de leurs cafés, forcément rares, sourcés et écoresponsables, plurent aussi instantanément que leur aptitude à réaliser des dessins dans la mousse de leur café. 

Une nouvelle ère s’ouvrait alors dans le monde des « p’tit crèmes » et chacun comprit rapidement que les signes de distinction et l’exigence de précision des gestes ne seraient pas à négliger pour redonner au café la part d’étonnement qu’il avait perdu à force d’infuser dans notre quotidien. Boire un café n’allait pas tarder à devenir un rite, ultime fantasme de tous ceux qui cherchent à ré-enchanter le banal et à construire de nouveaux imaginaires chargés de nous convaincre d’acheter. La multiplication des championnats de dessins sur mousse de lait ne tarda pas à nous le confirmer. 

Qui s’était, jusqu’à présent, intéressé à la mousse ? Chez Starbucks, enfermé dans un mug to go et, ainsi, assigné à être bu sans être vu, le café avait acheté sa modernité en sacrifiant son goût et sa couleur sous l’assaut des toppings et des aromatisations. La mousse, invisibilisée, n’avait pourtant pas dit son dernier mot et devint même l’un des signes de distinction des coffee shops. 

Voilà aujourd’hui la mousse en charge de réinitialiser le marché de la bière en s’affirmant comme un instrument de conquête de nouveaux buveurs. 

Après avoir lancé son Heineken Studio, un laboratoire d’expérimentation et d’innovation, Heineken a ainsi récemment dévoilé sa première création, fruit d’un travail de recherche associant tradition brassicole et innovation : une Foam Infusion, procédé consistant à parfumer non pas le liquide, mais la mousse de ses bières, en plusieurs arômes (tropical, anis, café et même spritz). La Heineken Foam Infusion Style Anis, à la mousse anisée, est ainsi déjà proposée en exclusivité à Marseille. Bien vu. De quoi transformer la mousse, signature historique de la bière Heineken, en un terrain gustatif inédit. 

Loin de n’être qu’une écume, une épaisseur légère et éphémère, un espace visible en voie de disparition, la mousse vient nous prouver par le café et la bière qu’elle peut aussi être à l’origine de nouvelles expériences de dégustation, visuelles ou gustatives. Avec la mousse, les sensations ne s’émoussent pas toujours. 

Optimisation

Depuis la crise sanitaire, les heureux propriétaires d’un « extérieur », conscients de leur privilège, sont nombreux à lui porter une attention nouvelle. L’économie de l’attention, c’est regarder ce que l’on se contentait de voir. 

Les balcons se transforment ainsi en mini terrasses et les terrasses en mini jardins, décrivant un ruissellement de nouvelles préoccupations et de nouvelles esthétiques dont aucune enseigne de jardinage et de bricolage ne pourrait se plaindre.

La petite table ronde en métal coloré, assortie de deux chaises pliantes, accompagnée d’une guirlande lumineuse ou d’un photophore, est ainsi devenue un signe de reconnaissance cool pour les jeunes bobos urbains à balcon, au même titre qu’un meuble chiné, une lampe iconique ou un tapis berbère. 

Les possesseurs d’un jardin ou d’un « terrain » se voient également soudainement traversés par de nouvelles ambitions. Une piscine et un barbecue, même japonais, ne leur suffit plus. C’est d’un salon de jardin et d’une cuisine extérieure qu’ils rêvent pour pouvoir « vivre dehors comme dedans ». Vive les robinsonnades de proximité. Surtout sous la protection d’un piège à moustiques connecté pilotable depuis son smartphone comme en propose la marque Home Defense dont l’ambition affichée est de « révolutionner nos moments extérieurs ».

Certains sont aussi tentés par les extensions de maison, un marché qui ne semble connaître aucune fatigue. Une véranda ou, pourquoi pas, une pergola, un carport (une pergola pour voiture), un pool house (un espace couvert) ou même un cube préfabriqué tout équipé pouvant être « pluggé » sur sa maison pour devenir, le temps venu, un studio indépendant parfait pour accueillir une nouvelle vie de travailleur indépendant, satisfaire une envie d’atelier à soi, recevoir des adolescents en quête d’indépendance ou des visiteurs payants en location courte durée. 

Ceux qui le peuvent gagnent en mètres carrés, les autres, en confort ou en esthétique et chacun a le sentiment d’avoir transformé son cadre de vie sans bouger et en un minimum de temps. Le rêve.

Une logique d’optimisation déjà à l’œuvre en architecture intérieure (rangements sur mesure, mezzanines, pièces en second jour…) qui nous renseigne à sa façon sur les attentes du moment et qui pourrait bien se répandre dans l’ensemble de la consommation vu le contexte économique. A défaut de possibilités d’extension, l’optimisation comme mode de vie.

Commerce gigogne

La rue de Rennes, à Paris, serait-elle le laboratoire du commerce du futur ? Il y a quelques années, Uniqlo trouvait refuge dans les locaux de la Fnac, permettant ainsi à ses clients d’acquérir au même endroit un livre et une doudoune. Voilà que l’on apprend aujourd’hui l’ouverture d’un Decathlon au sein du magasin Boulanger. Et dire que certains trouvaient que tous les magasins fermaient les uns après les autres sur cette artère parisienne qui eut son heure de gloire dans les années 80-90. Toutes les révolutions ne sont pas toujours visibles. 

Après une période d’extension, caractérisée par la multiplication des points de vente, voici que se profile celle de l’intensification consistant à insérer les enseignes les unes dans les autresLa logique de l’hypertexte appliquée au commerce. Au moins, si l’une d’elles vient à fermer, cela sera moins visible que dans les rues de ces nombreux centre-ville considérés comme morts. La stratégie a ses avantages. Elle conduit aussi les enseignes à réinventer la largeur de leurs offres et de leurs services car les magasins ainsi installés ne peuvent apparaître sous leur forme habituelle, faute de place. 

Quand Decathlon rejoint Boulanger, c’est sous un format City dédié à la pratique sportive des citadins soit, essentiellement, le triptyque de la modernité urbaine, cycle-course-fitness, complétée d’une sélection d’essentiels. Pour dynamiser le lieu, Decathlon y a également installé un atelier de réparation et d’entretien (vélo, trottinette…) ainsi que des casiers pour retirer les commandes web. Idéal pour générer un flux dont Boulanger ne pourra que profiter. 

Cette stratégie, qui fleure bon le win-win, pourrait rapidement faire des émules. Hasard ou coïncidence, la presse nous révélait récemment qu’après un test concluant, la marque de sneakers française Panafrica venait d’officialiser un partenariat avec La Poste lui permettant de vendre dans une trentaine de ses bureaux deux de ses modèles en édition limitée, conçus aux couleurs emblématiques de La Poste. Celle-ci s’était déjà essayée à la vente directe avec Le Slip Français puis les verres Duralex, preuve de son désir de doter ses bureaux de nouvelles missions, maintenant que le courrier traditionnel se tarit. 

Alors que le commerce du monde réel s’interroge sur son avenir, pourquoi pas le commerce gigogne ? Une ultime déclinaison du deux-en-un.

Le sac de mes envies

Alors que les acheteurs de sacs de luxe sont traversés par une soudaine fatigue, précipitant les résultats du secteur dans un abyme inattendu, il est plaisant de constater que le syndrome ne semble pas toucher la marque de sacs Cabaïa. Certes, il ne s’agit pas d’une marque de luxe, mais s’interroger sur la permanence de l’envie chez certains peut permettre de venir en aide à ceux qui l’ont perdue. 

Cabaïa vient de fêter ses dix ans et son succès est tel que la marque est devenue numéro un des sacs à dos en France, place pourtant solidement tenue par Eastpak. Réduire la raison de son succès au seul prix de ses produits serait de courte vue car chacun sait qu’il ne suffit pas d’être bon marché pour voir ses parts de marché grandir… Cabaïa n’est pas une marque qui fait fantasmer les influenceuses et les fashionistas. Elle fleure bon une certaine France périphérique et invisible, faite de consommatrices qui aiment flâner chez Promod, Kiabi, ou But, à la recherche de la dose minimale de modernité et d’affirmation de soi nécessaire pour ne pas se sentir exclues de l’époque. Entre le « pratique sympa » et le « à la mode mais capable de durer ». 

Pour les séduire, Cabaïa dispose de deux atouts. Le premier est que ses fondateurs ne viennent pas du milieu de la mode mais du commerce et de la tech, ce qui leur permet de poser un autre regard sur leur offre, libéré de toutes les injonctions attribuées aux tendances et animé par la recherche de points de différenciation concrets comme la praticité, la longévité et diverses astuces de customisation. Résultat : des sacs personnalisables, réparables à vie et certifiés B Corp pour faire oublier une fabrication en Chine au profit d’une consommation responsable. Des sacs capables de donner envie aux copines, qui n’auraient pas pu être achetés par leurs mères et qui constituent un cadeau idéal pour un pot de départ.

Le second atout de la marque tient à la force de sa communauté, engagée, diversifiée, intergénérationnelle et régulièrement consultée« On ne veut pas traiter les membres de la communauté comme des clients mais comme des associés… on les fait participer de A à Z, du design jusqu’aux fonctionnalités… » déclarent les fondateurs de Cabaïa. Bien vu. Ici, le sentiment d’appartenance espéré par toutes les marques ne se contente pas de s’afficher, il se vit.

L’appropriation s’est substituée à l’appartenance et le sac de mes envies, au sac de leurs envies.

Partage, partage

Au moment où la question du temps passé sur les écrans hante les esprits et les médias, force est de constater qu’émergent quelques remèdes, signes d’une prise de conscience et manière pour le réel de nous dire qu’il n’a pas dit son dernier mot. 

Ici, ce sont des soirées sans smartphone, là, des restaurants qui nous invitent à les déposer dans une boite avant de passer à table. Ou encore la multiplication des propositions de rencontres dans la vraie vie, autour d’activités ou lors de fêtes de village ressuscitées après des années de datings qui finissent par ressembler à des entretiens d’embauche. C’est aussi le grand retour des jeux de société, de cartes et même des échecs qui cartonnent auprès des plus jeunes qui aiment se retrouver dans des cafés ludiques, eux que l’on croyait tombés dans une faille spatio-digitale. Chaque seconde, il se vend une boîte de jeux de société en France, affirment les professionnels du secteur, pas mécontents. 

Toutes les marques se demandent comment profiter de ce nouveau comportement, vite requalifié en « tendance sharing ». Leurs réponses seront les mini formats et les formats à partager, preuve que la circulation des goûts, des formes et des textures est une condition de la convivialité. 

Inspiré par Krispy Kreme, Burger King lançait ainsi cet été des baby-burgers en boîtes de trois, ou carrément de neuf, permettant de découvrir l’étendue de ses recettes. Une première mondiale qui ne pouvait nous empêcher de nous demander pourquoi il a fallu attendre si longtemps pour les voir apparaître tant il semble évident que les offres minis sont appelées à un bel avenir. 

Pas seulement parce qu’elles sont « l’appartement témoin » du savoir-faire des marques ou qu’elles répondent à l’attention actuelle portée à son budget et à sa santé. Mais surtout parce qu’elles viennent confirmer la puissance de deux imaginaires moteurs de la consommation d’aujourd’hui : celui de l’inclusion, désormais envisagé comme le nouveau vivre-ensemble, et celui de l’apéro, devenu le moment ultime d’une convivialité longtemps réservée aux repas. 

L’individualisation des goûts et l’éclatement des moments de consommation pouvaient nous laisser penser que nous ne nous réunirions plus pour manger que pour les grandes occasions. C’était manquer d’imagination. La Gen Z renoue avec le plaisir de l’échange en vrai, du jeu et de la discussion au point que l’on peut se demander si la table basse ne serait pas en train de devenir le nouvel écran.

Les leçons de l’été

Outre la canicule, que fallait-il retenir de cet été ? Les Labubu, peluches porte-clés, en forme de lapins monstrueux, accrochées sur de nombreux sacs à dos ou de luxe. Un signe (supplémentaire) de ralliement communautaire autant que la confirmation de l’envie actuelle d’afficher ses émotions

Le Sauvy B, né sur TikTok avec l’intention de supplanter le Spritz : un Sauvignon frappé, agrémenté de quelques tranches de piment jalapeño préalablement surgelées. La recette de l’innovation tient bien à la combinaison du connu rassurant et de l’inconnu frissonnant. 

Le retour en demi-teinte d’Intervilles, signe que la nostalgie et l’intergénérationnel ne sont pas toujours la terre promise espérée. Ou encore la Terrasse du Ritz, place Vendôme, preuve du désir des marques d’occuper toujours un peu plus l’espace public (les trottoirs, les plages) et de capter ainsi notre attention, le nouveau nerf de la guerre. 

On a aussi appris qu’à Shangai (demain, ici, qui sait ?), la marque Vuitton avait installé un retail boat inédit : un navire en trompe l’œil de trente mètres de haut avec sa coque en métal monogrammé et une cabine de pilotage évoquant un empilement de valises. Baptisé The Louis, il a été conçu pour attirer une clientèle chinoise, que le monde du luxe trouve en ce moment un peu « fatiguée », grâce à diverses salles thématiques imaginées autour des savoir-faire et de l’histoire de la marque, complétées par un Café Louis Vuitton, histoire de rendre une part du rêve accessible. Proposer de nouveaux formats de distribution est toujours une manière de déclencher l’envie d’acheter. Après les pop-ups, devenus au fil du temps trop nombreux et trop attendus, le flagship pourrait revenir en grâce au sens littéral du mot… 

Du pop-up au retail boat, n’est-ce pas finalement à un exercice de grand écart que doivent désormais se livrer toutes les marques désireuses de prouver leur vitalité ? Un mouvement qui n’est pas sans évoquer celui de l’éventail, autre succès de cet été accablant. Familier des Espagnols, le voici aujourd’hui sorti de son registre folklorique sous l’impulsion de créateurs de mode qui le voient comme un accessoire stylé, sensuel et inclusif, parfait pour faire face à des températures hors de contrôle. Un geste sec associé à un claquement pour l’ouvrir et se faire remarquer et voilà l’objet prêt à produire la légère bise attendue. Un grand écart pour un nouveau souffle : impossible de ne pas y lire un message.

La route enchantée du café

Alors que la trêve estivale approche, tous les esprits sociologisants tentent de trouver le it-produit capable d’incarner les attentes des consommateurs de ce premier semestre. Si l’exercice est aussi arbitraire que celui consistant à définir la couleur de l’année, le café pourrait y prétendre tant il est devenu omniprésent dans notre quotidien. 

La France, pays du zinc et du p’tit noir, s’est en effet rapidement convertie aux coffee-shops qui poussent comme des champignons, parfois les uns à quelques mètres des autres, annonçant une lutte prochaine qui ne sera pas sans victimes. En attendant, assis sur un tabouret ou sur un banc partagé, chacun tente, lunettes noires sur le nez, de s’approprier leur langage et leurs tarifs. Un flat white n’est pas un cappuccino qui n’est pas un latte et la tranche de Banana bread se négocie ici autour de cinq euros. 

Nombreuses sont aussi devenues les enseignes proposant un espace café dans leurs magasins quand ce n’est pas un pop-up spécifique plus ou moins immersif avec promesse d’expériences exclusives. Dior, Vuitton, Saint Laurent, Hermes, Kitsuné ont été les premiers à y penser pour leurs flagships. Ils sont aujourd’hui rejoints par Longchamp, Lancaster, Kujten et Clarins qui, tous, ont récemment imaginé un café éphémère à leurs couleurs. L’austère librairie La Procure en possède même un, depuis peu, en partenariat avec le café Coutume. Proposer un café, c’est l’assurance de redonner de l’attractivité à son commerce. Il est d’ailleurs toujours présent dans les magasins hybrides qu’affectionnent tant les Gen Z et les Millennials comme le Coffee & Flower Les Artizans, le café-céramique La Papoterie (chacun, trois adresses dans la capitale) sans oublier toutes les néo-boulangeries du moment. 

Le café (de spécialité) attire, le café créé du lien communautaire, le café n’est pas (trop) cher, le café donne un supplément d’âme et de modernité et les coffee shops sont bien plus instagrammables que tous les Balto réunis. Le café est aussi associé à un imaginaire d’expertise cool très valorisant et peut facilement endosser nombre de discours éco-responsables ou humanistes auxquels le Gringo de Jacques Vabre n’aurait jamais pensé. 

De la tasse à la bonne conscience, le café a tout bon. Et s’il doit être regardé comme un exemple à suivre, c’est qu’il coche toutes les cases de la nouvelle route enchantée du marketing : produit-lieu-culture-esthétique-engagement. Malheur aux marques qui en oublieraient une.