Pince à rêves

Puisque la Foire du Trône vient de s’achever, il est tentant de l’évoquer en l’envisageant comme une métaphore de notre société de consommation. Certains n’ont-ils pas déjà comparé l’ambiance des fêtes foraines à celle des grands magasins ou des centres commerciaux un samedi après-midi ?

Contrairement à la foule des concerts ou des manifestations, celle de la fête foraine ne produit aucune énergie collective mais un mouvement d’errance dominé par la non détermination et la nonchalance. Le désir de sortir de chez soi pour s’imprégner d’une ambiance singulière l’emporte sur la perspective de satisfaire une passion ou d’exprimer une revendication. Mais l’envie n’en est pas moins là. Elle cherche simplement où se poser et comment s’exprimer. Envie de mettre en scène son habilité ou sa force pour gagner un « gros » lot, de se faire peur ou se faire plaisir, de produire un souvenir pour demain ou de renouer avec ceux d’hier… la fête foraine est le lieu de mille envies tapies qui attendent de se réveiller. Là réside tout l’enjeu : comment réussir à transformer des flux en moments ? Comment donner corps à des envies en suspension ? Un questionnement qui concerne aussi le commerce.

La fête foraine n’est pas non plus qu’affaire de foules à divertir. De temps, aussi. Ici, le temps passe plus lentement qu’ailleurs et les attractions semblent immuables à la technologie près. Parmi elles, les machines à pince ont toujours du succès. Elles ne proposent souvent que des peluches, mais l’idée de les posséder en manipulant simplement une pince est irrésistible. Ce n’est pas d’un désir de peluches dont il est ici question mais de leur désirabilité : la possibilité à portée de pinces…

Il en va de même pour la consommation. Comment pourrait-on avoir du désir pour ce qui semble inaccessible ? Telle est la question que doit se poser aujourd’hui le secteur du luxe. Celui-ci a toujours proposé des produits chers, certes, mais jamais totalement inaccessibles pour les classes moyennes « aspirationnelles » du monde entier qui sont à l’origine de son succès. Mais quand certaines marques décident d’augmenter fortement le prix de leurs sacs iconiques (le sac Chanel classique de taille moyenne vient de dépasser la barre symbolique des 10 000 euros), elles justifient leur décision en affirmant que l’accessibilité pourrait engendrer une perte de désirabilité. Un pari.

Les machines à pince nous enseignent pourtant le contraire, mais le monde du luxe n’est peut-être pas la fête foraine que l’on imagine.

Culture huître

La commune du Tour-du-Parc, première commune ostréicole du golfe du Morbihan, inaugurait récemment Ostreapolis, « un centre d’interprétation dédié à l’huitre ». L’ambition est donnée par son intitulé. L’architecture aussi donne le ton avec son parvis réalisé à partir de coquilles d’huîtres recyclées et son bâtiment principal habillé de tuiles chaulées utilisées par les ostréiculteurs locaux.

Ici, l’objectif est d’appréhender le mollusque dans toutes ses dimensions, de l’assiette aux enjeux climatiques et océanographiques. Car Ostrapolis se veut être un « outil de découverte et de compréhension des métiers, des savoir-faire, de la production, des paysages et des écosystèmes de l’agglomération de Vannes ». Pour y parvenir, le lieu a été construit autour de trois pôles. Un pôle Découverte (expositions, animations, ateliers pédagogiques…) afin de donner des clés de compréhension de l’ostréiculture à travers un parcours émotionnel imaginé pour faire vivre une expérience (forcément) immersive au visiteur (toucher des roches, observer le milieu dans lequel se développe l’huître, suivre son parcours du stade de larve au naissain et même barrer une barge au milieu des parcs ostréicoles en pleine tempête grâce à un simulateur…). Un pôle Gastronomie (rencontres, ateliers, cours…) animé par des chefs, étape désormais incontournable de l’économie touristique. Et un pôle Recherche (débats-conférences avec scientifiques, thésards, experts) ouvert aux professionnels, aux étudiants et aux scientifiques, histoire de réfléchir sur le futur de la coquille.

L’initiative, riche et didactique, illustre autant la manière dont les régions peaufinent leurs offres pour attirer un public large que les nouvelles attentes de ce dernier. Il ne s’agit plus seulement de lui proposer de se distraire mais de vivre un moment, plus seulement de lui permettre de s’instruire mais de se questionner, plus seulement de comprendre mais de s’initier.

L’exemple d’Ostreapolis devrait inspirer toutes les marques alimentaires désireuses de sortir des têtes de gondoles. Ne peuvent-elles pas, elles aussi, tenir des discours pédagogiques, gastronomiques et scientifiques avec l’orientation éco-responsable qu’exige notre époque ? Elles trouveraient là de quoi régénérer leur image et apparaître comme actrices d’un écosystème complexe. Parfait pour affirmer leur singularité, se forger des valeurs ou souligner leur engagement en faveur de leurs filières.

Les nouveaux phalanstères

S’il est un secteur de l’économie qui n’arrête jamais de se réinventer, c’est bien celui de l’hôtellerie qui semble indifférent aux soubresauts de la crise. Un signe indéniable de vitalité expliqué par la progression affolante du tourisme (rattrapage post-Covid, Coupe du monde de rugby, JO…) autant que par la diffusion d’un nouveau rapport au temps et à l’espace parmi les urbains. Quel établissement peut d’ailleurs aujourd’hui affirmer qu’il ne « vise » que les touristes et qu’il ne souhaite pas, aussi, « s’ouvrir sur la ville » ?

Les hôtels ont ainsi inventé de nouvelles propositions où leurs chambres ne sont plus que des prétextes. Les uns proposent de vastes patios ou des rooftops aux vues sidérantes pour stimuler la moindre envie d’apéro, les autres multiplient les événements (cocktails, cinéma, DJ set, spas…) pour attirer les locaux à l’étroit dans leurs appartements. Puisque la crise sanitaire a ravivé un certain goût pour le vert, les hôtels lorgnent à présent du côté de la proche campagne à moins de deux heures de Paris. Fontainebleau et ses environs ou ce territoire fantasmé aux frontières floues que l’on nomme Le Perche, déclinaison rustique-chic de l’Ile de Ré ou du Cap Ferret.

L’idée est ici d’attirer les familles et les bandes de potes plutôt que les couples en goguette. Mieux encore : les familles recomposées car ce sont celles qui ont le plus d’enfants… Qu’il s’agisse du Barn, d’Une île (initié par le restaurant Septime), de la Casa Rosalie, de La Prairie (la nouvelle maison de campagne durable imaginée par la The Oasis House) ou, dans une version plus bourgeoise, de l’Abbaye de Vaux-de-Cernay, récemment rénovée par un des rois de la nuit parisienne, toutes ces adresses ont pour point commun d’être hautement instagrammables (comme sorties d’un magazine de déco avec moult objets chinés, bouquets de fleurs séchées, bibliothèques garnies, coussins et tissus douillets qui n’attendent que vous), de proposer des espaces « kids friendly » (pour des week-ends apaisés), des activités en tous genres (cheval, canoë, karaoké, apéros, goûters, yoga, spa, concerts avec DJ, piscine, vélo, cuisine…) ainsi que d’abondantes tables en bois massif aux mets estampillés locaux et responsables, disponibles du brunch au dîner car ici la journée commence toujours par un brunch.

De la vie, des moments de partage et des histoires à raconter sont devenus les nouveaux signes de standing. A côté, les Relais & Châteaux sembleraient presque appartenir au monde d’avant.

La vie beautidienne

A mi-chemin entre la beauté et le lifestyle, certains savons liquides, aussi nommés dans les magazines chics « soins lavants pour les mains » (bien plus élégant), sont désormais des signes de reconnaissance d’entre-soi et d’appartenance à une même communauté de goûts. Leurs parfums sont devenus des fragrances mises au point par des nez reconnus, leurs promesses sont palpables, entre douceur et exfoliation, et leurs flacons en verre ont une forme étudiée pour signifier le raffinement, traverser le temps avec noblesse et accueillir, le moment venu, le contenu d’une recharge écoresponsable capable d’apaiser la mauvaise conscience générée par leur prix d’achat. Aesop domine assurément ce marché, aussi tangible que symbolique, envié par de plus en plus de marques parmi lesquelles L:A Bruket, Diptyque, Panier des sens, Dior et Fôme, la petite dernière. Entre autres.

L’évolution du statut du savon liquide vient parfaitement illustrer le désir de notre époque de transcender le quotidien en lui attribuant un discours et une attention démesurée. Comme si s’emparer de l’anecdotique permettait de s’éloigner (de se protéger ?) de l’essentiel. A la manière d’un objet design ou d’un bijou iconique, le beau flacon de savon liquide diffuse un élitisme soft nourri par l’assurance de posséder un goût irréprochable alors qu’il ne s’agit que de la énième forme de conformisme social. Une preuve supplémentaire du génie marketing consistant à faire naître des marchés en modifiant le regard qu’on y porte.

Tous les produits peuvent tenter leur chance. Certaines marques aimeraient ainsi faire subir au liquide vaisselle ou à la lessive le même sort que le savon liquide quand d’autres réfléchissent à la manière de s’attaquer au dentifrice, symbole du quotidien s’il en est, bloqué dans ses discours de blancheur et de prévention sans toujours parvenir à renouveler l’apparence de son tube ou la nature de ses promesses.

The Smilist l’a bien compris. La marque, nouvelle, propose de révolutionner le monde bucco-dentaire par son esthétique affirmée et se veut être pionnière du microbiote buccal en « fusionnant le pouvoir des prébiotiques et des ingrédients naturels pour nous offrir un sourire éclatant de vitalité ». Nous voilà prévenus. A sa tête, un « expert de la cosmétique », un chirurgien-dentiste et un directeur artistique : le trio gagnant du marketing du chic pour transformer le quotidien en « beautidien ». Le beau au service du bien. A moins que ce ne soit l’inverse.

Le triomphe du geste

Le secteur du café est sans doute le plus dynamique du paysage alimentaire. Au commencement étaient les origines. Chaque marque y allait alors de son répertoire géographique pour mieux nous faire rêver et se doter des signes d’authenticité indispensables à la construction de son image. Fini le temps simpliste des arabicas et des robustas. Les cafés des haut-plateaux, de Papouasie Nouvelle Guinée, les Blue mountain de Jamaïque déboulaient dans nos têtes et nos tasses, accompagnés d’adjectifs inédits autant que poétiques. Doux et suaves, fruités et équilibrés, amples et opulents. Qui pouvait résister ?

Puis vint le temps des machines. La performance au service du goût. De grains, le café avait muté en capsules faisant disparaître au passage tout geste humain et toute poésie. Ne restait plus qu’une carrosserie rutilante que l’on aimait exhiber. Cela ne pouvait pas durer. Un acteur worldwide, même accompagné de notoriétés plus locales, ne peut suffire pour porter un discours de qualité car la qualité est d’abord affaire de gestes. La main du gringo qui plonge dans le sac de grains pour en ressortir les meilleurs comme celle du barista qui dose le café et soigne sa mousse.

Pas étonnant, donc, que les cafés asiatiques aient actuellement le vent en poupe. Vietnamiens, philippins, taïwanais, coréens et même japonais. Hanoï Corner fut le premier à s’installer dans la capitale, il y a six ans, suivi par Shiba café, Laïzé, Kafé Buki ou encore Kapé, d’origine philippine. Après avoir été porté par les modèles français (la tasse et le comptoir, puis anglo saxon (le mug et le coffee to go), le café s’ouvre à présent sur l’Asie. Au Hanoï Corner, la machine à café a des allures vintage et l’odeur du petit noir se marie à celle de la noix de coco, spécialité du nord du Vietnam. Chez Kapé, les clients optent pour un « kapé de Filipina », un arabica des Philippines, ou un « ube latte », un latte agrémenté d’igname violet originaire de l’archipel qui lui donne un goût vanillé. Chez Kafé Buki, coffee shop japonais, les baristas prennent le temps de pratiquer l’aisukohi, une méthode d’infusion du cold brew consistant à verser directement de l’eau chaude sur du café moulu qui passera ensuite par un filtre.

Les cafés asiatiques viennent ainsi par une gestuelle spécifique renouveler les codes de leur marché pour mieux se distinguer, nourrir les réseaux et réactiver des souvenirs de voyages. Ils sont les nouveaux ambassadeurs de l’authenticité et signent le triomphe du geste sur la machine. 

La construction de soi

La presse à l’affût ne parle que de cela sur un ton mi-c’est nouveau, mi-c’est pas bien. Le full face, comprenez avoir son visage entièrement maquillé, semble être l’ultime tendance du moment parmi les (très) jeunes consommatrices. Le mouvement Nude, installé à l’opposé, n’était pourtant pas bien vieux.

Le full face est né sur les réseaux, et surtout sur TikTok, on s’en serait douté. Les dermatologues s’en inquiètent, soulignant les effets délétères du maquillage sur des peaux jeunes mais leur voix pèse peu face à la tentation générée par des linéaires (réels et virtuels) débordant de promesses de sensations et d’effets. Le phénomène est bien sûr révélateur de notre époque. De ses attentes et de ses imaginaires.

D’abord parce qu’il touche les plus jeunes d’entre nous qui peuvent toujours être vus comme porteurs d’un morceau de futur. Un futur où la consommation serait une source de culture et l’apparence le nouvel opium du peuple. Ces accrocs au full face sont aussi appelés « Sephora kids », ce qui en dit long sur la capacité des enseignes à façonner les cerveaux et à engendrer un sentiment d‘appartenance générationnel. Comme l’école.

Le phénomène vient aussi souligner l’importance prise par le visage. Conséquence de l’explosion des images sur réseaux, le visage est le nouveau corps. L’objet de toutes les attentions et de toutes les espérances portées par une routine appliquée consciencieusement sur chaque micro zone. Il est vrai qu’il est plus facile de corriger l’apparence de son visage que de son corps…

Conséquences : une ado de 16 ans maîtrise aujourd’hui l’art du maquillage infiniment mieux que sa mère, bousculant au passage la hiérarchie de la transmission, et les nouvelles marques ne cessent se multiplier. Huda beauty (née en 2013), Charlotte Tillbury (née en 2013), Rare Beauty (née en 2019), Avril (née 2015). Bientôt, elles auront l’âge de leurs acheteuses. Rarement utilisées de façon exclusive, elles trouvent leur place à côté des marques premium de toujours (celles des mères) comme des marques low-cost et inconnues que l’on trouve chez Action ou sur Ali Express. Leur caractéristique est d’être des « marques de parole » davantage que des « marques de discours » puisqu’ici, le témoignage des influenceuses vaut mieux que tout argument.

Voilà comment l’adolescence, période de l’invention de soi, devient celle de la construction de soi. Il ne s’agit plus pour les ados de se révéler au monde, mais de se présenter comme le monde du moment l’exige.

Décalage horaire

Pas toujours besoin de prendre l’avion pour vivre des décalages horaires. Les déjeuners et les dîners s’en chargent. Au siècle dernier, les ouvriers et les employés déjeunaient à midi quand les cadres se donnaient rendez-vous « vers 13h ». Idem pour le départ du bureau. Quand les premiers ne pouvaient pas partir tard, obligés d’affronter des responsabilités familiales ou de se plier aux horaires des transports en commun, les seconds faisaient de leur détachement de ces contraintes un signe ostentatoire de leur position hiérarchique. Tard était alors synonyme de responsabilité. Oui, mais ça, c’était avant la crise sanitaire.

Il suffit aujourd’hui d’être dans la rue vers 12h15 pour constater des files d’attente devant les nombreuses échoppes de street food qui se sont substituées aux restaurants d’entreprises. Car, conséquence de la généralisation du télétravail, arriver aujourd’hui « vers 13h » devant un menu, c’est prendre le risque de se retrouver face à un moindre choix… Le moment du départ pour le déjeuner glisse ainsi peu à peu vers midi. Ce phénomène d’avancement progressif se retrouve aussi le soir, provoqué par l’ambition des restaurateurs de « faire tourner leurs tables » deux fois. Pour y parvenir, ils installent un premier service à 19h30 et un second à 21h, les bénéficiaires du premier étant invités à ne pas s’éterniser. Premiers servis, premiers partis.

Si dîner tôt, « ça fait touriste », parler de « early dinner », c’est autrement plus chic… A bien y regarder, pour inédite qu’elle soit, la situation n’a pas que des inconvénients. Sortir de table tôt peut donner le sentiment d’être en vacances dans un pays étranger, de rompre avec ses habitudes (ça fait du bien) à ou encore d’échapper au « coup de feu » en salle et à son chapelet de stress. Dîner tôt, c’est aussi une manière d’allonger le temps et de s’offrir une seconde soirée. Dans un autre lieu ou chez soi, devant une série.

Chaque marque doit, désormais, réfléchir à la manière d’occuper ce « new after-hours » qui pourraient se révéler être une juteuse opportunité de marché. Puisque le goûter est regardé depuis quelques temps par les professionnels de la restauration comme un nouveau relai de croissance, pourquoi ne pas aller jusqu’à hybrider brunch et goûter ? Demain, la journée de travail pourrait ainsi commencer plus tôt (réchauffement climatique oblige), s’interrompre par un « mini finger lunch » et se finir par un « brûncher » vers 17h… Dans l’assiette, le changement, c’est tout le temps.

Bonne nuit

Comme New York, le marketing ne ferme jamais l’œil. Les promesses de la journée à peine tenues, qu’il faut déjà imaginer celles du soir et de la nuit. Depuis peu, les articles sur une nécessaire qualité de sommeil se multiplient comme autant de nouvelles injonctions. Bien dormir pour bien aborder sa journée, pour paraître plus jeune et même pour vivre plus longtemps. Selon l’Institut national du sommeil et de la vigilance (on frôle la grande cause nationale), 37% des Français se disent insatisfaits de leur sommeil. Si l’on ajoute ceux qui sont insatisfaits de leur vie, pas sûr qu’il reste grand monde…

Il n’en fallait pas plus pour que les propositions pour nous aider à mener ce nouveau combat contre les moutons sauteurs se multiplient. Le « bien dormir » s’ajoute ainsi au « bien manger », au « bien vivre » et au « bien vieillir ». Bientôt le « bien mourir ». Notre époque est définitivement en quête de bien. Les matelas et autres oreillers ergonomiques à mémoire de forme sont les premiers à s’emparer du combat. Normal. Suivis de près par les applications dédiées comme le Dodow, un dispositif lumineux fondé sur la cohérence cardiaque déjà adopté par plus d’un million de personnes. Les couvertures et couettes lestées (de plusieurs kilos) sont aussi dans les starting-blocks. On en trouve même chez Ikea. La marque Kusmi Tea qui s’était, en son temps, fait remarquer sur les rayons encombrés du thé avec son mélange Detox, vient d’ailleurs de lancer un Rituel Sommeil au rooibos, enrichi d’extraits de mélisse, recommandé pour l’endormissement. Un signe.

Mais la nuit n’est pas qu’affaire de sommeil. De beauté, aussi. Masque remodeleur de l’ovale du visage par-ci, patch de botox pour lisser les rides et gommer les marques de sommeil par-là ou encore bonnet de nuit pour empêcher les cheveux emmêlés au réveil et gants nocturnes (!) pour optimiser la pénétration de la crème et permettre ainsi une réparation optimale des mains et des ongles… Il fallait y penser. N’oublions pas les thalassos qui préfèrent désormais miser sur le sommeil que sur la remise en forme. C’est plus calme. Les Thermes de Saint-Malo proposent ainsi un séjour « mer et capital sommeil » conçu pour « renouer avec un sommeil réparateur » avec possibilité de choisir son oreiller (brume d’oreiller offerte).

On savait les consommateurs prêts à payer pour ne rien faire et même ne rien manger. Les voilà désormais prêts, aussi, à payer pour dormir. Le marketing ne ferme vraiment jamais l’œil.

Netflixation

Il fallait bien que cela arrive. Puisque Emily aime Paris et qu’Arsène Lupin a conduit à Étretat un afflux inattendu de visiteurs, pourquoi ne pas exploiter le filon et faire de chaque série un Office de Tourisme ? C’est ce que s’est dit Atout France, en charge du développement du tourisme en France, en se rapprochant de Netflix pour éditer un guide touristique consacré aux lieux de tournage de ses films et séries. Et voilà la France soudainement devenue un parc d’attraction grandeur nature. L’apogée de la société du spectacle.

Rues transformées, magasins redécorés, habitants déguisés et parfois, même, nom de ville changé (car, ce qui est censé se passer ici est, en fait, tourné là) en échange de fantasmatiques retombées économiques portées par un flot de vacanciers que l’on n’ose pas qualifier de touristes puisque leur motivation n’est plus de découvrir ou d’apprendre, mais de reconnaître, voire de revivre ce qu’ils ont déjà vu sur un écran. Quelle ville pourrait résister à cette perspective bien plus consensuelle que l’installation d’un entrepôt destiné à un acteur du e-commerce ?

Pour éviter les risques de sur-tourisme (il faut penser aux habitants), Netflix et Atout France rassurent : Lupin est aussi passé au musée Nissim de Camondo et au siège du Parti Communiste et Emily a pris le train pour une escapade en Provence. A quand un Guide Emily in France avec ses parcours et ses « adresses secrètes » ? 

Certains esprits chagrins voient là un crime de lèse-majesté : la dépossession de notre souveraineté narrative par une plateforme américaine et notre soumission à des valeurs stéréotypées (la gastronomie, les arts de la table, l’élégance, l’amour) qui ne raconteraient plus notre actualité. Rappelons que beaucoup de pays aimeraient les posséder et que ce n’est pas parce que ces valeurs sont apparues il y a des siècles qu’elles sont dépassées. Au contraire. Les voir toujours aussi désirées et désirables est le signe de leur force.

Elles sont sans doute réductrices mais leur pouvoir d’attraction est assurément plus puissant que celui de la Fintech ou des nouvelles technologies qui contribuent aussi à notre fierté. « On n’a pas fini d’inventer la France » souligne Netflx dans un spot réalisé pour l’occasion. Voilà le défi. A chaque ville d’attirer l’inspiration et les histoires pour enrichir notre perception nationale… et permettre une meilleure répartition des visiteurs.

Pourquoi le grand récit national que certains appellent de leurs voeux ne serait-il pas davantage sur les écrans que dans les discours politiques ?

Good looking goods

Alors que le café n’en finit pas de se réinventer (filtre, capsules, aromatisé, cold brew, enrichi avec de la protéine ou du collagène, en cocktails, en gélules et, désormais, en version asiatique) voici que le matcha veut lui aussi, tirer la couverture à lui. La preuve que, désormais, la vie urbaine ne peut plus s’envisager sans une boisson chaude à portée de doigts.

Originaire de Chine, et particulièrement apprécié au Japon, le matcha est fabriqué à partir de feuilles de thé vert qui lui assurent une couleur éclatante, très compatible avec les attentes des réseaux, et qui, une fois mélangées à de l’eau ou du lait, produisent un aspect velouté qui ne peut que stimuler l’envie. Mais le matcha n’est pas qu’une boisson, il est aussi un ingrédient que l’on peut facilement intégrer à la pâtisserie pour la réenchanter. Les traditionnels flans, cakes, glaces et même smoothies prennent alors des allures verdâtres qui, au début, pouvaient surprendre, mais qui ont fini par séduire. Le pouvoir de l’étrangeté.

Le matcha peut également faire irruption dans le monde de la cosmétique sur les paupières des people et autres influenceuses. Enfin, et là n’est pas la moindre des raisons de son succès, le matcha est aussi capable de tenir un discours santé puisque, riche en antioxydants, il permet de lutter contre le mauvais cholestérol. Il aurait même des effets calmants sur le corps et l’esprit comme l’ont bien compris les moines bouddhistes…

Si le succès du matcha s’explique par ses promesses vertueuses, le réduire à un « alicament » serait nier l’importance de sa couleur, aussi facilement identifiable et instagrammable que déclinable. Combien de produits peuvent revendiquer une association aussi forte à une couleur que le matcha ? Un des futurs de l’alimentation se dessine ainsi ici sous les traits d’aliments « good looking », caractérisés par une forme, une couleur, un pack et même une gestuelle distinctive. Une manière pour eux d’induire clairement le style de vie auquel ils aspirent. Pour preuve, la transformation, lors de la dernière Fashion Week, de l’un des Café Kitsuné parisiens en un pop-up ultra green entièrement dédié au matcha avec chaises cannées et auvent vert et blanc. La consécration. Pendant ce temps, les boissons au collagène multiplient leurs apparitions avec un bleu futuriste comme signe de reconnaissance. L’avenir s’annonce coloré…